société

Violence au travail
Les dangers de la banalisation

Troubles de sommeil et de concentration, irritabilité et hyper vigilance, la banalisation de la violence au travail a des conséquences psychologiques importantes, en particulier pour les femmes, selon une étude menée par le Centre d’études sur le trauma de l’Institut universitaire en santé mentale et l’Université de Montréal.

L’étude publiée il y a trois semaines dans la revue Annals of Work Exposures and Health est basée sur les témoignages de 377 travailleurs issus des milieux policier et de la sécurité publique (agents de la paix, gardiens), ainsi que du milieu de la santé (essentiellement des infirmières et infirmiers).

Plus de la moitié des participants (54 %) estiment que la violence est normale dans leur environnement de travail. Plus encore, 58 % d’entre eux croient que leurs collègues ou employeurs les auraient jugés négativement s’ils s’étaient plaints. On parle d’agressions verbales, de menaces, de vols à main armée et même d’agressions sexuelles.

« Il y a dans ces milieux de travail une culture de la banalisation, nous dit Steve Geoffrion, auteur principal de l’étude et professeur à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal. Ce qu’on constate, c’est que plus les gens normalisent cette violence (c’est-à-dire qu’ils lui donnent un sens et qu’ils estiment que ça fait partie de la job), moins ils développent des symptômes de stress post-traumatique. »

À l’inverse, nous dit Steve Geoffrion, ceux qui considèrent qu’il s’agit d’un tabou, qui ne normalisent pas ces actes de violence et qui craignent d’être perçus négativement par leurs pairs ou leurs patrons s’ils se plaignent de la violence dont ils ont été victimes auront des séquelles psychologiques importantes. D’autant plus qu’elles ne seront jamais traitées.

Une bonne nouvelle ?

Bizarrement, cette normalisation de la violence, qui résulte d’une forme de résilience ou de résistance à la violence, n’est-elle pas une bonne nouvelle ?

« On peut considérer la normalisation de la violence comme une stratégie d’adaptation efficace. C’est d’ailleurs ce que font aujourd’hui les militaires avant de partir en mission de combat. »

— Steve Geoffrion, professeur à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal

« On les prépare à ce qu’ils vont vivre et au stress auquel ils seront exposés pour qu’ils développent des cognitions adaptées pour fonctionner dans ce milieu-là… »

Par contre, prévient Steve Geoffrion, cette dynamique n’est pas sans conséquence. Donc, attendez avant de sortir le mousseux. « Plus les gens normalisent, plus ceux qui ne normalisent pas vont avoir de la misère à se plaindre et à obtenir de l’aide. Plus ils vont s’isoler. Notre recherche nous indique que les femmes sont plus touchées par cette dynamique parce qu’elles ont plus tendance à aller chercher un soutien. »

À force de normaliser ces situations, Steve Geoffrion craint que les employés se fassent dire : « Peut-être que t’es pas fait pour la job ? T’es peut-être pas dans le bon domaine ? » « La violence est parfois tellement banalisée (comme dans les centres jeunesse), estime-t-il, que les gens ne se sentent même pas concernés par la question. De 50 à 60 % des travailleurs ne savent même pas qu’il y a un programme d’aide aux employés victimes de violence. »

Le danger, conclut Steve Geoffrion, c’est que ceux qui ont besoin d’en parler ne puissent pas le faire, de peur d’être jugés. « On sait que la conséquence psychologique la plus fréquente pour les personnes qui sont victimes de violence, c’est le choc nerveux, qui mène au trouble de stress post-traumatique. Si ces personnes n’ont aucun soutien psychologique ou ne sont pas traitées, leurs problèmes vont s’aggraver. »

Des questions à approfondir 

Maintenant qu’il a établi qu’il y a une banalisation importante des actes violents dans ces milieux de travail, Steve Geoffrion aimerait approfondir certaines questions. Par exemple, comment la culture organisationnelle peut-elle changer la perception des employés vis-à-vis de la violence qu’ils ont vécue ? Comment améliorer le soutien offert à ces employés et comment prévenir les actes de violence et l’apparition de troubles de stress post-traumatique ?

Son équipe a même mis sur pied un questionnaire pour sensibiliser les gens à la violence vécue au travail. Des mises en situations (sous forme de courtes bédés) visent à mieux renseigner les gens sur ce qu’est la violence au travail. Des données qui permettent également d’approfondir le sujet.

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