Société

Quand un t-shirt affirme que les filles n’aiment pas les maths

Les filles n’aiment pas les maths, le saviez-vous ? C’est ce que suggère un t-shirt mauve vendu l’été dernier chez Children’s Place. Sous l’inscription « Mes matières préférées », on y trouve une liste de pseudo-matières scolaires : magasinage, musique, danse et maths. Tout est coché… sauf les maths.

« C’est terrible, commente Marianne Prairie, chroniqueuse-blogueuse et mère de deux fillettes. Ça renforce un stéréotype. Ça te confirme que si tu es une fille, tu n’es pas vraiment faite pour les mathématiques. »

De nombreux commentaires négatifs – laissés notamment sur la page Facebook de Children’s Place – ont heureusement poussé l’entreprise à retirer ce t-shirt du marché.

Mais plusieurs autres vêtements véhiculant le stéréotype de la fillette-objet y sont toujours vendus. La Presse y a trouvé un t-shirt décoré d’un téléphone rose et des mots « Call Me ! » (Appelle-moi !), offert aux 4 ans et plus. Ainsi qu’un t-shirt mauve orné d’un gros cupcake et du mot « Délicieuse ».

Quant aux garçons, ils sont des « Little Genius » (Petit génie), « King of the Court » (Roi du terrain de basket-ball) ou « Rebels » (Rebelles), à en croire Children’s Place. D’autres détaillants font pareil : Gap vend des chandails décorés de têtes de mort aux gamins, tandis qu’il met des faux pendentifs sur ceux des gamines. Chez Souris Mini, les uns sont « sans limites », les autres « charmantes »….

« Part importante du marché »

« Les exemples ne manquent pas pour guider nos enfants vers des moules pré-pensés qui forgent leurs goûts, confirme Julien Ferrand, 29 ans, père de deux enfants et auteur du blogue www.pere-de-famille.fr. Chez les garçons, ça bouge, ça crie avec des motifs d’avion, de trottinette, de monstres et de dinosaure, tandis que chez les filles, ça pouponne, c’est tout doux, avec Minnie, des petits cœurs, etc. »

Loin d’être exceptionnels, les habits marqués par une différenciation sexuée « occupent une part importante du marché du vêtement pour enfants », observe Sabrina Sinigaglia-Amadio, sociologue à l’Université Paul Verlaine de Metz, en France.

Courant unisexe dans les années 80

Petit, M. Ferrand a partagé des vêtements avec son frère et sa sœur. Trouver un jean unisexe ne relevait alors pas de l’exploit.

« Si on regarde ça à l’aune des années 80, on se dit oups, quel recul ! reconnaît Louise Cossette, professeure au département de psychologie de l’UQAM. Mais les années 80, c’est une décennie qui se démarque. On était très critiques des stéréotypes traditionnels, il y avait tout un courant unisexe. Comme le fait souvent l’humanité, il y a eu un pas en avant, puis deux pas en arrière. »

Stimuler les ventes

Depuis, la place croissante du marketing a renforcé le clivage entre les deux sexes. L’avantage de cette segmentation ? Faire vendre davantage. « Si des parents ont acheté un jean ou un t-shirt avec une étoile pailletée pour leur fille, ils pourront difficilement le faire porter à leur fils, observe Mme Sinigaglia-Amadio. Et inversement pour un t-shirt avec un tracteur ou Spiderman. »

Ce n’est évidemment pas grave, « mais ça entretient les stéréotypes, écrit M. Ferrand dans son blogue. Si je prends un raccourci, tu diras peut-être que c’est dommage que les femmes soient moins bien payées que les hommes à des postes équivalents. Moi, je dirai que c’est peut-être parce qu’elles sont mignonnes et coquettes et qu’en entreprise, on a tout intérêt à être fort et courageux. »

En 2011, la marque française Petit Bateau a fait scandale en vendant justement des cache-couches pour filles « mignonnes, coquettes », alors que ceux pour garçons portaient l’inscription « fort, courageux »…

« Influence considérable »

« On sous-estime l’impact que ces stéréotypes peuvent avoir sur les enfants, souligne Mme Cossette. Ça a probablement une influence considérable sur leurs choix de vie, leur façon de s’évaluer et d’évaluer les autres. »

« Les vêtements font partie des détails du quotidien qui participent de la construction sociale de l’identité des individus, corrobore Mme Sinigaglia-Amadio. Ces détails, cumulés aux autres (films, clips musicaux, publicités, littérature, manuels scolaires, jouets, etc.) contribuent à la construction de mondes sociaux où filles et garçons, femmes et hommes s’opposent. En ce sens, ils ne favorisent pas l’émergence d’une société égalitaire entre les sexes. »

L'analyse de la sociologue

Vêtements pour enfants observés par la sociologue Sabrina Sinigaglia-Amadio

Pour les garçons

-Peu de fioritures.

-Dessins : véhicules (tracteurs, voitures, avions, etc.) et animaux (de la savane, dinosaures, etc.).

-Personnages : explorateurs, sportifs, chevaliers, Vikings aux attitudes offensives, en action.

Pour les filles

-Fioritures : papillons, paillettes, cœurs, fleurs, étoiles, petits nœuds.

-Dessins : fleurs, animaux moins dangereux comme lapins et chatons, objets « girly » (rouge à lèvres, sacs, bijoux, couronnes et diadèmes).

-Personnages : princesses et personnages aux attitudes rêveuses, romantiques.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.