Enjeux

Attention, chien méchant ?

Ce n’est pas seulement la génétique ou l’environnement d’un chien qui en déterminent le comportement, mais une combinaison des deux

À quelques centaines de mètres de chez moi, une petite fille a été brutalement attaquée et mutilée par un chien.

D’une part, s’élèvent des voix contre la « race » de ce chien (le pit-bull n’est pas véritablement une race, mais un ensemble flou de tout ce qui ressemble à différentes combinaisons de pitbull américain, staffordshire bull terrier, bouledogue américain, bull terrier et d’autres) et, d’autre part, des voix affirment qu’il n’y a pas de mauvaises races, seulement de mauvais maîtres.

Dans le monde canin (refuges, éducateurs canins et vétérinaires), on insiste beaucoup sur le rôle déterminant des maîtres dans la socialisation, l’éducation et le bon gardiennage de leur chien. J’approuve, mais je me questionne sur la tendance à nier la possibilité d’existence de caractéristiques individuelles ou de race.

Dans ce milieu, il est acceptable de dire « les gens ont peur des pit-bulls et pourtant, ce sont de si bons chiens ! », mais il ne faut pas dire qu’ils sont peut-être plus dangereux que d’autres.

L’an dernier, j’ai assisté par webdiffusion à un séminaire sur l’agression canine destiné aux vétérinaires. Nous pouvions interagir par clavardage pendant les conférences. Un chercheur universitaire réputé est venu présenter des données préliminaires d’une étude. Il s’agissait de résultats partiels, considérés incomplets. Il disait que les données semblaient tendre vers une plus grande dangerosité des chiens de type nordique et des molosses. Quel émoi il a créé ! Les commentaires affluaient, les gens étaient tout aussi convaincus les uns que les autres que c’était impossible ! Les propos désobligeants sur le conférencier ont afflué, même des mentions sur son âge avancé qui minaient sa crédibilité.

La réalité neutre et scientifique est qu’on ne sait tout simplement pas quelles races sont plus dangereuses – ni s’il y en a – et, qu’en l’absence de preuve, le milieu choisit de rester neutre face aux différentes races et d’insister seulement sur l’éducation des maîtres et de la population. Cela se défend : c’est le facteur connu sur lequel on sait qu’on peut travailler pour améliorer la situation.

J’ai deux explications à proposer pour le phénomène de négation d’une possibilité de différences de dangerosité entre les races. La première est qu’on réagit viscéralement à ce qu’on apparente au racisme chez les humains. Il y a pourtant une grande différence entre le racisme chez les humains et le racisme chez les animaux domestiques : nous contrôlons déjà la reproduction des animaux domestiques. Nous pratiquons même l’eugénisme en choisissant les reproducteurs selon certains critères jugés favorables. 

La deuxième explication tient à une conception de l’animal qui serait une page blanche à la naissance. C’est faux. Ni ma page, ni la vôtre, ni celle de votre chien ou des miens n’était blanche à la naissance. Par la suite, nos pages seront aussi marquées par notre environnement et nos expériences, mais elles n’étaient pas blanches au départ.

J’aimerais aussi souligner la différence entre un chien qui mord parce qu’il est irrité pour une raison quelconque et celui qui attaque par prédation, agissant avec sa victime comme avec une proie. On peut en faire énormément par l’éducation, soit, mais on sait qu’il n’y aura jamais que des maîtres responsables. Sachant qu’il y aura toujours des délinquants et que ceux-ci sont attirés par les races dont l’allure est menaçante, je ne vois pas en quoi cela sert la population d’essayer de les convaincre que tous les chiens naissent égaux. 

Ce n’est pas la génétique ou des facteurs extérieurs, comme l’éducation, la croissance in utero, la socialisation, etc., qui déterminent le comportement d’un chien. C’est une combinaison des deux.

Est-ce que je suis en train de vous dire que je pense que les pit-bulls sont de mauvais chiens et qu’il y a de mauvaises races ? Pas du tout. Ce que je dis, c’est que ceux qui affirment que les agressions ne sont dues qu’à l’éducation du chien n’ont pas plus de preuves de ce qu’ils affirment que ceux qui avancent qu’il s’agit d’une race dangereuse.

Je ne vous dis pas que j’appuie les règlements interdisant certaines races, d’autant plus qu’on ne peut définir la « race » ! Je ne vous dis pas non plus qu’il serait plus bénéfique pour la santé publique que tous cherchent véritablement à y voir clair sans être motivés en premier lieu par une idéologie.

Je crois que nous partageons tous la volonté de protéger les enfants. Malheureusement, je sais par expérience qu’il n’est pas simple de changer le comportement d’un maître récalcitrant. Il est difficile pour le voisinage de se prémunir contre ceux-ci. Ils doivent souvent multiplier les démarches peu efficaces, faute de recours simples et accessibles. On devrait peut-être commencer par là, non ?

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.