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Les conflits diplomatiques ont jalonné les derniers mois du premier mandat de Justin Trudeau. Le dernier événement en date : le premier ministre du Canada a congédié son ambassadeur en Chine, John McCallum, hier. Analyse et résumé de la journée.

Analyse

Le Canada bousculé à l’international

OTTAWA — De plus en plus, le Canada se fait bousculer sur la scène internationale. Les tensions sont vives entre le Canada et la Chine depuis quelques semaines. Auparavant, l’Arabie saoudite, la Russie et même les États-Unis ont causé de sérieux maux de tête au premier ministre Justin Trudeau et à sa ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland.

Quand Justin Trudeau a déclaré le 22 octobre 2015, au lendemain de sa retentissante victoire électorale, que le Canada était de retour sur la scène internationale, il n’avait certainement pas en tête les conflits diplomatiques qui ont jalonné les derniers mois de son premier mandat à la tête du gouvernement canadien.

Deuxième puissance économique de la planète, la Chine ne décolère pas depuis que les autorités canadiennes ont arrêté, à la demande des États-Unis, la directrice financière du géant des télécommunications Huawei, Meng Wanzhou, à Vancouver, en décembre. Les États-Unis la soupçonnent d’avoir contourné les sanctions américaines contre l’Iran et souhaitent son extradition. Depuis lors, la Chine a arrêté deux Canadiens, Michael Kovrig, un ancien diplomate, et Michael Spavor, un homme d’affaires. Les autorités chinoises les accusent d’avoir « menacé la sécurité nationale ». Un tribunal chinois a aussi transformé récemment une condamnation de 15 ans de prison pour trafic de stupéfiants imposée à un autre ressortissant canadien, Robert Lloyd Schellenberg, en une peine de mort.

L’an dernier, le gouvernement Trudeau a soulevé l’ire de l’Arabie saoudite après que le ministère des Affaires étrangères eut publié un gazouillis critiquant le bilan du régime saoudien en matière de droits de la personne et réclamant la libération de Samar Badawi, la sœur du dissident emprisonné Raif Badawi, dont la conjointe habite Sherbrooke. Riyad a répliqué en expulsant l’ambassadeur du Canada, en rappelant son propre ambassadeur en poste à Ottawa, en gelant tous ses investissements au Canada et en demandant à ses étudiants fréquentant les universités canadiennes de rentrer au bercail.

L’Arabie saoudite fulmine encore plus depuis que le Canada a accueilli récemment à bras ouverts la jeune Saoudienne Rahad Mohammed, qui a quitté son pays natal pour fuir sa famille qui la maltraitait. « À nos amis canadiens : les politiques provocantes et immatures de Chrystia Freeland et de Justin Trudeau contre le plus grand pays du Moyen-Orient et le cœur du monde arabe et musulman, l’Arabie saoudite, pourraient amener les grandes nations arabo-musulmanes à revoir leurs relations avec le Canada », a affirmé sur Twitter Salman Al-Ansari, porte-parole du Comité des relations publiques de l’Arabie saoudite aux États-Unis, la semaine dernière.

En Russie, la ministre Chrystia Freeland fait toujours partie d’une liste d’une dizaine d’élus canadiens qui sont déclarés persona non grata par Moscou depuis que le régime de Vladimir Poutine a annexé la Crimée, une partie du territoire de l’Ukraine – un geste qui a été vivement condamné par le Canada et ses alliés.

Les relations entre les États-Unis et le Canada ont connu une période tumultueuse depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump à Washington.

Le président des États-Unis a critiqué à maintes reprises le Canada, l’accusant de se livrer à des pratiques commerciales néfastes pour les intérêts américains dans le cadre des difficiles négociations visant à moderniser l’Accord de libre-échange nord-américain. 

Durant le Sommet du G7, dans Charlevoix, en juin dernier, Donald Trump a pesté contre Justin Trudeau, le qualifiant de faible et malhonnête après que le premier ministre eut affirmé qu’il se tiendrait debout pour défendre les intérêts du Canada. 

Un nouvel accord commercial a été conclu, à la onzième heure, le 30 septembre, mais les relations sont loin d’être au beau fixe entre les deux capitales.

Comment expliquer que le Canada soit devenu une telle cible de prédilection de la part des grandes puissances de la planète ? À Sherbrooke, la semaine dernière, la responsable de la diplomatie canadienne Chrystia Freeland a soutenu que le Canada était confronté à un monde « plutôt turbulent en ce moment ».

« Nous traversons la période la plus turbulente pour ce qui est de l’ordre mondial établi depuis la Deuxième Guerre mondiale. Cette turbulence affecte plusieurs pays. Et nous ne devrions pas penser que nous sommes à l’abri de cela », a-t-elle avancé.

L’effet Trump

Pour certains, la cause de cette turbulence qui ébranle le Canada porte un nom : Donald Trump. Car le président a ouvert le bal des attaques contre le Canada après son arrivée au pouvoir. Si le Canada se voit matraquer par son plus proche allié, comment des pays comme la Chine et l’Arabie saoudite pourraient-ils s’abstenir d’en faire autant ?

Mais pour Jocelyn Coulon, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal et ancien conseiller politique de l’ex-ministre des Affaires étrangères Stéphane Dion, les causes sont plus profondes.

« Il faut se rendre compte que le Canada est une puissance moyenne en déclin. Nous ne sommes plus la septième économie du monde, comme il y a 15 ans, d’où notre appartenance au G7. Nous sommes la dixième, et la Corée du Sud va nous dépasser cette année. Dans quelques années, nous serons la quinzième », souligne-t-il d’entrée de jeu.

Selon lui, deux causes expliquent la marginalisation du Canada sur la scène internationale. « On assiste présentement à un formidable réalignement de la puissance dans le monde », affirme-t-il, soulignant que les Chinois et les Américains sont engagés dans une vive compétition pour asseoir leur influence, tandis que l’Inde, le Japon, le Brésil et la Turquie marquent chaque jour leur présence.

« Le Canada assiste impuissant à ce spectacle. Il n’a pas développé les instruments diplomatiques, militaires, économiques et d’influence nécessaires à son adaptation. Face à cet état du monde, ni Trudeau ni Freeland ne savent comment réagir. »

— Jocelyn Coulon

Deuxième cause : les difficiles négociations de libre-échange avec les États-Unis ont fait en sorte que ce seul dossier a accaparé toute l’attention de la ministre Freeland pendant près de deux ans. « Ces négociations ont privé le Canada d’un ministre des Affaires étrangères à temps plein. Aujourd’hui, nous en payons les conséquences », selon M. Coulon, qui a publié l’an dernier l’essai Un selfie avec Justin Trudeau : Regard critique sur la diplomatie du premier ministre.

L’expert déplore aussi « l’inculture » de l’actuel premier ministre sur les questions internationales. « Se rendre en Inde affublé de tels costumes, mais surtout accompagné de plusieurs ministres de confession sikhe lorsqu’on connaît le caractère explosif de cette question dans ce pays relevait de la pure bêtise. Plus généralement, le gouvernement semble n’avoir aucune idée à proposer pour marquer la présence du Canada sur la scène internationale », a-t-il dit.

Il a d’ailleurs rappelé que les prédécesseurs de Justin Trudeau avaient su marquer la politique étrangère par des décisions « audacieuses et avant-gardistes », souvent dès leur premier mandat.

À titre d’exemple, Pierre Elliott Trudeau a reconnu la Chine communiste et s’est lancé dans une campagne pour la réduction des armes nucléaires. Son successeur, Brian Mulroney, a négocié le premier accord de libre-échange avec les États-Unis et a mené la charge contre l’apartheid en Afrique du Sud. Pour sa part, Jean Chrétien a fait adopter la Convention d’Ottawa contre les mines et il a dit non à la guerre en Irak en 2003. Enfin, Stephen Harper a lancé l’initiative pour la santé des mères, des nouveau-nés et des enfants dans les pays en développement et a lancé les négociations sur les traités de libre-échange avec l’Europe et les États de l’Asie-Pacifique.

À neuf mois des élections fédérales, M. Coulon pose la question suivante : « Quel est l’héritage de Justin Trudeau quatre ans après son élection ? »

Politique

Trudeau congédie l’ambassadeur du Canada en Chine

Le premier ministre Justin Trudeau a congédié son ambassadeur en Chine, John McCallum.

« Hier soir, j’ai demandé à John McCallum de me remettre sa démission de son poste d’ambassadeur du Canada en Chine et je l’ai acceptée », a déclaré M. Trudeau dans un communiqué diffusé hier par son cabinet.

Le chef de mission adjoint à l’ambassade du Canada à Pékin, Jim Nickel, représentera désormais le Canada en Chine en tant que chargé d’affaires.

John McCallum s’était mis dans l’embarras plus tôt cette semaine en déclarant que Meng Wanzhou, directrice financière du géant chinois des télécommunications Huawei, disposait d’arguments juridiques solides pour éviter l’extradition.

Mme Meng avait été arrêtée à l’aéroport de Vancouver le 1er décembre dernier, en vertu d’un mandat d’arrêt américain. Les États-Unis la soupçonnent d’avoir cherché à contourner les sanctions commerciales imposées à l’Iran. Son arrestation a provoqué une grave querelle diplomatique avec la Chine.

À la suite de ce faux pas de M. McCallum, Justin Trudeau avait d’abord rejeté les appels à son congédiement.

Seconde déclaration controversée

Bien que le premier ministre n’ait pas immédiatement expliqué son changement de cap, l’annonce du renvoi de M. McCallum est survenue après que celui-ci se fut de nouveau exprimé sur cette affaire.

Après avoir affirmé qu’il serait « bien pour le Canada » que les États-Unis abandonnent les accusations contre Meng Wanzhou, l’ambassadeur avait dû s’excuser publiquement jeudi.

« Je suis désolé que mes propos ayant trait aux procédures judiciaires concernant Mme Meng aient semé la confusion. Je me suis mal exprimé. »

— John McCallum, dans un communiqué diffusé jeudi par le ministère des Affaires étrangères

Ce mea culpa n’aura vraisemblablement pas suffi. Justin Trudeau, sans préciser la raison de son congédiement, souligne que le travail de John McCallum au cours des 20 dernières années « demeure une source d’inspiration pour les Canadiens et un exemple pour le reste du monde ».

Avant sa carrière diplomatique, John McCallum avait notamment occupé les postes de ministre de la Défense nationale, de ministre des Anciens Combattants et de ministre de l’Immigration, à l’apogée des efforts de réinstallation des réfugiés syriens.

L’opposition réagit

La décision de M. Trudeau de congédier John McCallum est intervenue trop tard, a soutenu le chef du Parti conservateur Andrew Scheer, l’un de ceux qui avaient réclamé le départ de l’ambassadeur après sa première déclaration litigieuse.

« Ça n’aurait jamais dû en arriver là. Justin Trudeau aurait dû congédier son ambassadeur au moment de l’ingérence dans cette affaire. Il n’a rien fait et a permis des dommages additionnels. Plus de faiblesse et d’indécision de la part de Trudeau avec la Chine. »

— Avec La Presse canadienne

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