Chronique

La chaîne
du pouvoir gris

À l’heure où des réseaux traditionnels comme TVA et Radio-Canada se décarcassent pour ramener les jeunes devant l’écran plat, un trio de Québécois nage à contre-courant et orchestre la mise à feu d’une chaîne numérique entièrement consacrée aux téléspectateurs de 50 ans et plus.

Cette future station s’appelle, sans étonnement, Canal 50+. Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) lui a déjà attribué une licence anglophone (Channel 50+), et l’audience publique pour la portion francophone s’est déroulée la semaine dernière à Gatineau. À moins d’un imprévu majeur, vous pourrez vous y abonner en décembre prochain.

Attendez un peu, ici. La télé québécoise n’est-elle pas déjà assez grise comme ça ? Et y a-t-il vraiment un besoin criant pour encore plus de Pour le plaisir sur nos ondes ? « Trois millions de personnes ont plus de 50 ans au Québec. Et ce sont les personnes de 50 ans et plus qui dépensent le plus. Elles ont hérité, elles ont de bonnes pensions, elles ont vendu des propriétés », énumère Dominique Delbast, 65 ans, qui pilote le projet de Canal 50+.

La grille de Canal 50+ comprendrait une kyrielle de magazines traitant de finances personnelles, de voyages, de vin, de plein air, d’histoire, de cuisine, de santé ou d’informatique, mais aussi des téléromans déjà diffusés, des quiz populaires, des émissions de variétés et des films chatouillant la fibre nostalgique des baby-boomers. Un bulletin quotidien de 30 minutes destiné aux snowbirds de la Floride, présenté de Fort Lauderdale, figure aussi à l’horaire, de même que des émissions décortiquant l’actualité en direct. Le tout taillé sur mesure pour un téléspectateur de 50 ans ou plus.

Ce Canal 50+ serait-il viable ? Sur papier, les chiffres tendent à prouver que oui. Selon la firme BBM, les 25 à 49 ans regardent, en moyenne, 27 heures et demie de télévision par semaine. Chez les 50 à 64 ans, la consommation télévisuelle hebdomadaire grimpe à 42,4 heures. Les plus de 65 ans s’assoient 53 heures et demie par semaine devant leur appareil, soit plus de 8 heures par jour. C’est énorme.

Par contre, le milieu de la pub, qui carbure à la jeunesse et à la nouveauté, se soucie peu de la population dite vieillissante, qu’il considère comme acquise ou conquise. Pourquoi se forcer pour plaire aux vieux ? Ils sont déjà fidèles au poste et ne bougeront pas de leur canapé, de toute façon.

Ce sont les téléphiles jeunes, impulsifs et fougueux – plus enclins à modifier leurs habitudes de consommation – qui titillent les annonceurs. « En après-midi sur LCN et RDI, on les voit, nos annonceurs potentiels : les résidences de personnes âgées, les couches, les boosts d’énergie, les suppléments de vitamines et les produits naturels. Les personnes de 50 ans et plus boivent de la bière comme tout le monde, s’achètent des voitures, des véhicules récréatifs, des spas ou des condos », note Dominique Delbast, qui a quitté le milieu audiovisuel québécois dans les années 90 pour exercer divers métiers, dont celui d’organisateur de voyages.

Plusieurs animateurs québécois connus, mais moins visibles sur le radar médiatique, ont été sollicités par Canal 50+. Le nom de Jocelyne Cazin a été mentionné par Robert Leblond, 60 ans, vice-président à l’information et aux affaires publiques de Canal 50+. « Personne ne nous a dit non jusqu’à présent », soutient Robert Leblond, qui a été journaliste au Journal de Montréal pendant 30 ans avant de fonder Hebdo Floride, une publication destinée aux résidants semi-permanents de cet État américain. Le troisième membre du trio derrière Canal 50+, Jean Grenier, a longtemps œuvré dans le monde publicitaire (Bleublancrouge, BCP).

Une chaîne similaire à Canal 50+, RLTV (pour Retirement Living TV), existe aux États-Unis depuis 2008. Florence Henderson, la célèbre maman de la famille Brady, y a son talk-show. RLTV présente aussi de grandes entrevues, du jardinage, des émissions sur la réinvention et un club de lecture.

Rapidement, le mot « retraite » a été retiré du titre Retirement Living TV et remplacé par Redefine Life TV, beaucoup plus doux. C’est déjà difficile de vieillir. Se le faire rappeler tous les jours en allumant la télé, c’est légèrement agressant.

Le tiers de la production de Canal 50+ serait québécois. La petite équipe prévoit s’installer dans des studios de Mel’s à Saint-Hubert. C’est Sophie Ferron, de Media Ranch, qui a été mandatée par Canal 50+ pour acheter divers formats d’émissions à travers le monde. « On veut des produits frais. Rien de vieillot ou d’infantilisant », note Sophie Ferron, qui représente le géant Endemol (Le banquier, Les enfants de la télé) au Québec depuis 2008.

Le nerf de cette guerre résiderait dans les « alpha boomers », la frange la plus jeune de cette génération qui adopte rapidement les nouvelles technologies, comme l’iPad sur lequel vous lisez peut-être cette chronique. Ces « alpha boomers », dont l’âge oscille entre 55 et 64 ans, pètent le feu, ont les poches pleines d’argent et bousculent la façon dont les publicitaires perçoivent la vieillesse. Place à la révolution grise. En ferez-vous partie ?

RÉORGANISATION CULTURELLE

Mauvaise journée pour le module culturel de Radio-Canada hier. Trois postes y ont été abolis (un caméraman, un réalisateur et une assistante). Les journalistes télé Tanya Lapointe et Maxence Bilodeau, de même qu’Ève Payette à la radio ainsi que l’affectatrice Louise Rousseau, seront réintégrés au Centre de l’information, mais continueront de suivre l’actualité culturelle pour la SRC. « Nous avons réorganisé le module. Oui, des ressources ont été enlevées, mais la couverture restera la même dans les téléjournaux », assure Luce Julien, première directrice nouvelles multiplateformes et information numérique de Radio-Canada.

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