Rémunération des médecins spécialistes

« Là, c’est du sérieux »

Comme c’est le cas pour d’autres professionnels, les médecins spécialistes devraient gagner environ 9 % de moins que leurs confrères du reste du Canada, estime François Legault. Le premier ministre a la ferme intention de réduire leur rémunération d’ici la fin de l’année, quitte à déposer une loi spéciale, a-t-il confié hier en entrevue avec La Presse dans ses bureaux de Québec.

Médecins spécialistes

Legault veut réduire les salaires d’ici à la fin de l’année

Québec — Le premier ministre François Legault veut tirer un trait rapidement sur les négociations avec les médecins spécialistes. Il compte réduire leur rémunération d’ici à la fin de l’année, quitte à déposer une loi spéciale. Son objectif : que les médecins gagnent environ 9 % de moins que leurs confrères du reste du Canada, comme c’est le cas pour d’autres professionnels.

En entrevue avec La Presse dans ses bureaux de Québec, hier, François Legault a dit avoir l’appui de la population pour régler ce dossier sans délai, au moment où son gouvernement entame sa deuxième année.

Le rapport de force s’est inversé, selon lui, depuis l’époque où il était ministre de la Santé, en 2002, alors que les médecins spécialistes s’étaient réunis au Stade olympique pour faire plier le gouvernement. « À cette époque-là, il y avait Dieu et après, il y avait les médecins, a-t-il affirmé. Ils ont moins l’appui de la population suite aux augmentations de 50-60 % qu’ils ont eues dans les dernières années. »

Le premier ministre compte ainsi rouvrir l’entente négociée sous le gouvernement Couillard avec la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) et qui s’échelonne jusqu’en 2023. Les pourparlers qui se sont tenus jusqu’ici sont plutôt difficiles. « On ne s’entend pas nécessairement sur les paramètres », a résumé M. Legault. Il se dit « ouvert » au dépôt d’une loi spéciale. Ce n’est pas une menace en l’air, comme d’autres gouvernements ont pu le faire dans le passé, selon lui. « Là, c’est sérieux. Là, c’est sérieux », a-t-il insisté. Sa « préférence » reste « une entente négociée d’ici à la fin de l’année ».

En attendant l’étude comparative

François Legault soutient que son gouvernement recevra dans les prochains jours l’étude comparative pancanadienne sur les médecins spécialistes qu’il a commandée à l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS) avec l’accord de la FMSQ. Or, on s’attendait plutôt à ce que ce rapport soit déposé à la fin de l’année, voire au début de 2020 seulement. L’ICIS a demandé des délais supplémentaires pour le produire, expliquait le Trésor dans les dernières semaines. Mais M. Legault a expliqué que c’est plutôt le moment où cette étude sera rendue publique qui a été fixé à la fin de l’année ou au début de 2020. Cette étude doit servir de base aux négociations.

« Notre objectif, c’est que l’écart [de rémunération] que les professionnels ont avec le reste du Canada, il faudrait que ce soit le même pour les spécialistes. »

— François Legault, premier ministre du Québec

Il a précisé que le salaire des professionnels québécois est « à peu près 9 % plus bas » que celui de leurs collègues des autres provinces.

Ce serait une coupe importante pour les médecins spécialistes. À défaut d’avoir l’étude de l’ICIS, on peut avancer quelques chiffres sur la base du rapport annuel de l’organisme sur les médecins rendu public la semaine dernière.

Les spécialistes québécois gagnent en ce moment environ 14 % de plus que leurs collègues de huit provinces et territoire dont les données figurent au rapport. Il n’y a pas de statistiques pour l’Alberta et la Saskatchewan, entre autres.

L’ICIS fait état des « paiements cliniques bruts moyens par médecin » – la statistique qui a toujours été utilisée par les politiciens, dont François Legault, pour mesurer la rémunération des médecins.

Québec : 428 941 $

Reste du Canada* : 374 809 $

*Il s’agit d’une moyenne de la rémunération en Ontario, en Colombie-Britannique, au Manitoba, au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse, à l’Île-du-Prince-Édouard, à Terre-Neuve-et-Labrador et au Yukon. Pour l’année 2017-2018.

François Legault commence donc son bras de fer avec une demande importante : réduire la rémunération des spécialistes d’environ 20 %, si l’on se fie aux données disponibles.

Le premier ministre n’a pas chiffré ses attentes quant à la somme exacte qu’il souhaite récupérer. Il avait parlé de 1 milliard de dollars lors de la campagne électorale. « Mais on n’avait pas mis ça dans notre cadre financier », a-t-il tenu à dire.

« Minibudget » le 7 novembre

François Legault a annoncé que la mise à jour économique de son gouvernement sera présentée le 7 novembre. Il la qualifie de « minibudget ». « Ce qu’on regarde, c’est la possibilité de devancer certaines de nos trois mesures importantes : la réduction des taxes scolaires, l’augmentation des allocations familiales et l’élimination de la taxe famille, donc le retour au tarif unique dans les garderies. On n’est pas encore décidés », a-t-il affirmé.

La Presse a déjà révélé que le gouvernement entendait accélérer la réalisation de ces trois promesses. Il a déjà fait un bout de chemin pour chacune de ces mesures et prévoyait les concrétiser pleinement d’ici à la fin du mandat seulement.

Analyse

Le retour du bagarreur

Québec — Les coffres du gouvernement craquent sous les surplus. L’opération délicate sur la laïcité est derrière lui et, hier, le démantèlement promis des commissions scolaires faisait un bond important. Mais François Legault a encore le goût de la bagarre. Avec les médecins spécialistes d’abord, avec l’ensemble du secteur public ensuite.

Dans le passé, les gouvernements nouvellement élus au Québec ont toujours profité de la première année de leur mandat pour mettre derrière eux les décisions difficiles, les collisions potentielles avec des groupes particuliers.

Lucien Bouchard, aux commandes en 1996, avait vite mis les horloges à l’heure du déficit zéro. Jean Charest, en 2003, avait déclenché et affronté tout de suite la tempête suscitée par des amendements au Code du travail. Pour Philippe Couillard, c’était la médecine amère de l’austérité budgétaire, des compressions en santé et en éducation.

Les négociations à venir avec les médecins spécialistes et l’ensemble du secteur public seront deux défis importants pour le gouvernement dans les prochains mois. Et le parcours de « François Legault le négociateur » dans le passé laisse entrevoir des moments intenses. Le passé est garant de l’avenir. Lucien Bouchard avait été forcé de mettre fin prématurément à une mission en France parce qu’au Québec, son ministre de l’Éducation, François Legault, menaçait de casser la baraque parce qu’il n’avait pas ce qu’il souhaitait comme budget dans les crédits à venir.

À la Santé sous Bernard Landry, François Legault avait laissé monter la pression avec les médecins spécialistes. Ceux-ci avaient même débrayé pour un rassemblement monstre au Stade olympique de Montréal.

Sans parler des ultimatums du député péquiste de Rousseau lancés au même Landry devenu chef de l’opposition. Il réclamait que le gouvernement dévoile la « maquette d’un Québec souverain », un mantra. Plus tard, une autre obsession : la publication d’un budget de l’an 1 du Québec souverain, avec un succès bien mitigé.

Des « gestes difficiles »

C’est avec cette grille en tête qu’il faut décoder le message de François Legault aux médecins spécialistes, qui ont en poche une entente conclue avec Québec jusqu’en 2023. Dans une entrevue accordée à La Presse, un an après son élection, le premier ministre se dit « ouvert à une loi spéciale ». Devenu négociateur des médecins spécialistes, Lucien Bouchard a probablement décodé le message de son ancien ministre : il dit souhaiter que la question soit réglée avant la fin de 2019. Rappelons ici qu’au jour 1 de son gouvernement, François Legault avait dévoilé son plan de match en matière de laïcité : une loi adoptée avant l’été 2019. Le train est entré en gare comme prévu.

M. Legault avait inscrit un trait dans le sable en fixant à 1 milliard de dollars la réduction de rémunération attendue des médecins. Mais il n’avait pas fait inscrire cette rentrée d’argent dans le cadre financier de la Coalition avenir Québec (CAQ) en campagne électorale.

La négociation des conventions collectives pour un demi-million d’employés du secteur public sera aussi « une étape importante ». L’horizon est à peine plus loin. 

Les conventions viennent à échéance en mars 2020, mais déjà, François Legault prévoit que ça pourrait se prolonger jusqu’à l’automne. L’année prochaine sera celle de la négociation avec le secteur public.

Immigration, laïcité, démantèlement des commissions scolaires, « les gestes difficiles ont été posés », observe-t-il. L’amélioration des services en santé et de la situation économique est un objectif à plus long terme, prévient-il. Ramener le temps d’attente aux urgences à 90 minutes paraît carrément irréaliste : depuis un an, il a plutôt légèrement augmenté. Mais Legault a la foi du charbonnier. L’objectif est toujours là pour la fin du mandat.

Les moments difficiles depuis un an ? Ses choix surprennent. Ce ne sont pas les menaces de poursuites proférées par les commissions scolaires ou les femmes musulmanes. C’est la formation de son Conseil des ministres, ouvrir l’avenir à seulement 26 ministres quand on a recruté personnellement l’essentiel des nouveaux élus. Renvoyer à l’arrière-ban MarieChantal Chassé après seulement trois mois à l’Environnement a également été difficile. On comprendra qu’il n’est pas question de remaniement dans l’avenir prévisible. 

Un regret depuis l’élection : le budget du printemps dernier était muet sur un engagement à l’égard des enfants handicapés. La mesure de 30 millions (au lieu des 22 promis) viendra plus tard, car le ministère des Finances n’avait pas fini son travail. Il faut dire qu’il est complexe de créer une mesure qui doit intégrer le niveau de handicap d’un enfant, explique-t-il à la décharge de la machine.

Déterminé ou entêté ?

Pour l’heure, François Legault travaille sur la préparation du « minibudget » que déposera son ministre des Finances, Eric Girard, le 7 novembre. Comme l’indiquait La Presse il y a près d’un mois, le gouvernement est à examiner trois mesures, essentiellement un devancement de ses engagements de campagne électorale.

Une réduction accélérée des taxes scolaires toucherait tout le monde, un avantage, mais elle coûterait plus cher – le gouvernement est à 33 % de son objectif ici. La hausse des allocations familiales était déjà amorcée dans le budget l’an dernier – Québec a franchi ici 40 % de la route. Finalement, la décision la moins lourde financièrement est l’élimination de la « taxe famille » du gouvernement Couillard, le retour au tarif unique pour les services de garde.

Québec agira-t-il sur ces trois fronts ou concentrera-t-il son action sur un seul ? « On veut poser un geste du côté du portefeuille [des contribuables] », mais François Legault reste bien évasif.

D’autres sources laissent entrevoir qu’une abolition de la contribution décrétée par le gouvernement libéral pour accrocher les coûts de service de garde aux revenus serait une bonne nouvelle pour la population et pour les résidants de la circonscription de Jean-Talon, qui auront à choisir un successeur au député démissionnaire Sébastien Proulx.

Déterminé ou entêté, François Legault ? Il faut tenir compte du fort appui de la population dont jouit actuellement son gouvernement. S’il était dans une situation précaire, on dirait facilement qu’il s’obstine à atteindre des objectifs réprouvés par les électeurs.

Mais avec des sondages qui sont au beau fixe, on dira que François Legault est surtout… déterminé.

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