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Le bébé du 24 juin

Né en Syrie, l’étudiant en médecine Lahoud Touma a aidé des dizaines de familles de son pays à immigrer au Québec

L’émotion qui a envahi Lahoud Touma quand il a pris le bébé naissant dans ses bras était indescriptible. Lui-même né en Syrie, il avait aidé la mère et le père du bébé, originaires d’Alep, à remplir leurs papiers d’immigration, puis à s’établir au Québec. Tard le soir, le jour de l’accouchement, les deux parents qui ne parlaient ni français ni anglais l’avaient appelé à la rescousse comme interprète.

Le jeune étudiant en médecine tenait maintenant dans ses bras un tout nouveau Québécois, né le 24 juin, qui plus est. « J’ai eu l’occasion de voir ce bébé naître au Canada, dans des conditions extraordinaires », raconte-t-il.

Lahoud Touma est beaucoup trop modeste pour le dire ainsi, mais c’est un tout petit peu grâce à lui si ce bébé a vu le jour au Québec et non dans les ruines d’un pays dévasté par la guerre.

Le jeune homme a aidé des dizaines de familles syriennes, qui ne parlaient ni français ni anglais, à naviguer dans les dédales bureaucratiques de la demande d’immigration. Ensuite, avec un organisme communautaire, il a participé à des collectes de fonds et aidé ces familles à trouver un logement, un emploi, bref, à s’établir au Québec. Il a également œuvré à la clinique des migrants de Médecins du monde, où les immigrants sans papiers peuvent se faire soigner.

« Redonner à la société qui m’a accueilli, pour moi, c’était un devoir. Je suis très reconnaissant de ce que le Québec m’a donné », résume-t-il.

« Un meilleur environnement »

C’est que Lahoud Touma et sa famille ont eux aussi passé à travers le difficile processus d’immigration. Mais c’était bien avant la guerre en Syrie. « Mon père était venu voir de la famille ici, il a trouvé que c’était un meilleur environnement pour élever ses enfants », raconte-t-il.

Son père a ouvert un comptoir de nettoyeur dans l’est de Montréal. Sa mère travaillait au magasin, en plus d’être employée dans une garderie du quartier. « Ce sont des gens extraordinairement travaillants. On ne serait jamais là où on est sans eux. »

À leur arrivée au pays, Lahoud avait 7 ans, son petit frère 5 ans. Un autre petit frère est né au Québec. Le jeune Lahoud a fait son secondaire dans le programme international de la polyvalente Henri-Bourassa, située en plein dans le secteur le plus défavorisé du quartier Montréal-Nord. « J’ai été sensibilisé à beaucoup d’enjeux sociaux là-bas », dit-il.

À la fin de son secondaire, il voit la guerre éclater dans son pays d’origine. « J’ai été directement exposé à ce qui arrivait dans ma ville natale. » C’est là qu’il décide de pousser à la roue.

« Ces gens qui arrivent ici, surtout les plus jeunes, ils ont vécu des choses traumatisantes. Mais ce qui m’a le plus frappé, c’est leur résilience. Ils ont vécu des situations horribles, mais ils continuent à garder espoir, à conserver une certaine joie de vivre. » — Lahoud Touma

Après son cégep, il est admis à la faculté de médecine de l’Université McGill. Il entame maintenant une spécialité en neurologie. En plus de son implication dans la communauté syrienne, il donne de son temps à divers comités universitaires ainsi qu’à l’organisme Vitamine-sport, qui vise à promouvoir les saines habitudes de vie en milieu défavorisé. « Oui, c’est demandant, des études en médecine, mais j’ai quand même trouvé le temps de m’impliquer. »

Bref, en cette année 2018 où le sujet de l’immigration a souvent provoqué la controverse, le jeune étudiant est probablement l’illustration de l’apport positif que peuvent avoir les immigrants dans leur société d’accueil. En septembre dernier, Lahoud Touma a d’ailleurs remporté le prix de la Personnalité de l’année au gala Forces Avenir.

Et comment vit-il ces débats parfois déchirants sur l’immigration ? « Honnêtement, c’est correct qu’on débatte. Je comprends qu’il puisse y avoir une certaine résistance à l’immigration. Mais à Montréal, c’est multiethnique, c’est vibrant, et les gens sont extrêmement ouverts d’esprit. »

Quant au bébé du 24 juin, il a maintenant 1 an. Il vit toujours à Montréal.

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