Éditorial  Paul Journet

Au-delà de Walmart

Le moment pour faire une bêtise était étrangement bien choisi.

Depuis jeudi dernier, les critiques fusent contre Walmart, qui a annulé son programme d’emploi pour les personnes souffrant d’une déficience intellectuelle ou d’un trouble du spectre de l’autisme. Mais on a peu entendu parler du débat de fond qui se trame. Québec met la dernière main son nouveau plan stratégique d’intégration au travail pour les personnes handicapées. Un plan attendu depuis cinq ans, qui pourrait changer la vie de milliers de personnes.

On comprend l’indignation contre la multinationale américaine, ce méchant parfait. Mais avant de passer à la prochaine controverse médiatique, il faut saisir cette rare occasion de réfléchir à l’intégration au travail des personnes souffrant d’un handicap, et à l’aide pour ceux qui ne peuvent pas travailler.

Le terme « handicap » est vaste. En vertu de la loi adoptée en 2006, il désigne un individu avec une « limitation significative et persistance ». Cela comprend les personnes avec un handicap physique ou intellectuel, ainsi que celles qui souffrent d’un trouble de l’autisme ou de santé mentale.

Certains se trouvent un emploi régulier. D’autres sont incapables de travailler. Si leur contrainte est jugée « sévère », ils reçoivent alors une prestation de l’aide sociale.

Pour ces cas lourds, le gouvernement Couillard en fera plus. Son récent plan de lutte contre la pauvreté prévoit que leurs prestations passeront d’ici cinq ans de 12 749 à 18 029 $ – ce qui équivaut à 100 % de la mesure du panier de consommation pour les besoins de base (alimentation, vêtement, logement, transport).

Il y a toutefois un sérieux bémol. La bureaucratie de l’aide sociale est reconnue pour ses failles.

Les drames humains ne rentrent pas toujours dans les bonnes cases, et des personnes vulnérables ne réussissent pas à faire reconnaître leur contrainte sévère à l’emploi. Un récent exemple : dans la première mouture du plan libéral, les personnes hébergées par leur famille ou par une « ressource intermédiaire » voyaient leur chèque réduit de 73 $. Il a fallu que les médias le révèlent pour que le ministre corrige l’injustice.

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Pour les personnes qui peuvent et veulent travailler, les obstacles demeurent.

Dans le secteur public, la majorité des ministères et organismes échoue encore à atteindre la cible de 2 % d’employés handicapés. Curieusement, les ministres libéraux n’ont pas déchiré leur chemise à ce sujet…

Ailleurs, il existe deux grandes catégories de programmes. Ceux volontaires pour les entreprises à but lucratif, comme Walmart. Et ceux standardisés pour les « entreprises adaptées » – des entreprises à but non lucratif dont le mandat même est d’embaucher des gens souffrant de divers handicaps. Par exemple, un schizophrène travaillera dans un centre de tri, un autiste, dans une imprimerie et un sourd fera de l’entretien ménager. Pour eux, ce travail est plus qu’un gagne-pain. C’est une nouvelle famille, et parfois un tremplin vers un emploi régulier.

Les entreprises adaptées font un travail essentiel. Mais elles emploient moins de 4000 personnes, et sont peu présentes dans certaines régions, comme les Laurentides et la Montérégie. Ce réseau n’attend que la possibilité de se développer.

Quant aux entreprises privées, soyons réalistes : elles ne se découvriront pas spontanément un goût de l’entraide. Il faut les sensibiliser aux programmes disponibles, et les rendre attractifs.

La pénurie de main-d’œuvre constitue une occasion idéale pour les y inciter. Mais cela doit se faire dans le respect de la dignité humaine. Pour l’instant, si une personne handicapée gagne plus de 100 $ par mois, son chèque d’aide sociale sera réduit. On répète : 100 $ par mois… Le gouvernement Couillard propose de hausser ce seuil à 200 $. Ce n’est pas beaucoup.

Walmart aura malgré elle permis de braquer les projecteurs sur l’importante stratégie sur l’intégration et le maintien à l’emploi des personnes handicapées. On ne sait pas quel modèle précis adopter. Mais une chose semble certaine : en termes d’humanité, on peut faire mieux.

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