Chronique

Ciel, mon turban !

L’Association canadienne de soccer a donc suspendu la Fédération québécoise de soccer pour son interdiction du turban sur les pelouses québécoises. Pauline Marois en a profité pour sauter dans la mêlée identitaire et se prononcer sur ce choc Québec-Canada.

La PM a dit ceci, hier : « La Fédération québécoise a le droit d’établir ses propres règlements. Elle est autonome, elle n’est pas assujettie à la Fédération canadienne et à cet égard, je la supporte dans ses orientations. »

Le hic, c’est que Mme Marois est dans le champ.

La Fédération québécoise n’est pas « autonome », elle est bel et bien « assujettie » à l’Association canadienne de soccer. Comme à peu près toutes les fédérations provinciales d’à peu près tous les sports amateurs le sont face à leurs fédérations nationales.

C’est plate, mais c’est comme ça. Il y a des sujets que même la gouvernance souverainiste ne peut pas tacler.

Et l’Association canadienne a envoyé une directive aux associations provinciales, récemment : le turban, c’est oui. Est-ce une décision juste ? Dans le cas du turban sur les pelouses québécoises, au cœur de ce bras de fer entre les deux fédés, la question n’est pas là. C’est davantage une affaire d’autorité dans l’écosystème du sport amateur qu’une affaire de justice.

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Je parle d’interprétation des lois du jeu, car c’est de cela qu’il s’agit, dans cette affaire de l’interdiction du port du turban sur les terrains de soccer québécois.

À propos de l’équipement, la Loi 4 de la Fédération internationale de soccer (FIFA), 466 petits mots, n’interdit pas le port du turban. Elle ne le permet pas non plus.

Dans la section « autre équipement », la FIFA dit ceci, après avoir détaillé l’équipement permis et ses couleurs : « Tout type de vêtement ou équipement supplémentaire doit être inspecté par l’arbitre et confirmé comme non dangereux. »

Le turban et ses dérivés (comme la patka) sont-ils dangereux pour les joueurs de soccer ?

C’est ce qu’a dit la Fédération québécoise de soccer pour justifier son bannissement du turban. C’est malheureusement une opinion pour le moins minoritaire dans le soccer mondial. Partout dans le monde, on trouve des joueurs qui jouent avec un turban.

En Angleterre, mère patrie du soccer-football, cela fait des décennies que des joueurs sikhs portent le turban dans les ligues mineures sans que la Football Association (FA) nationale rechigne. Par un curieux et archaïque mécanisme, la FA (avec les trois autres fédérations britanniques – irlandaise, écossaise et galloise) participe à la création des lois du jeu au Conseil de l’association internationale de football (mieux connue sous l’acronyme anglais IFAB), qui sont ensuite entérinées par la FIFA (c’est compliqué, je sais, tous ces acronymes).

Chez nos voisins du Sud, dans la United States Soccer Federation (USSF), un arbitre d’une ligue mineure a exclu en 1997 un jeune sikh du New Jersey avant un match. L’arbitre en chef de la USSF, Vincent Mauro, l’a rappelé à l’ordre, à l’époque : « Il a erré du côté de la sécurité, mais c’était une erreur. Et cette erreur devrait être corrigée, et corrigée rapidement. »

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J’aurai l’air de défendre la religion sikhe. Mais la religion m’ennuie et je crois que le monde se porterait mieux si tant de gens ne s’en remettaient pas à des superstitions gérées par des règles écrites il y a des centaines d’années. Je crois que ne pas se couper les cheveux pour rester pur, comme le font les sikhs, est une pratique aussi curieuse que de tremper un bébé dans l’eau pour en faire un petit catholique.

Mais je crois à la liberté. Et la liberté de religion en fait partie. Si un flic ou un juge porte un turban, une kippa, un voile ou une croix en bois, ça m’irrite : le flic, le juge, c’est l’autorité de l’État.

Mais un ti-cul de 12 ans qui joue au soccer ?

M’en fiche.

Quant à Mme Marois, si elle tient vraiment à commenter les luttes de pouvoir dans le soccer canadien, j’ai une petite histoire pour elle.

Quand la FIFA a avalisé en 2012 la recommandation de l’IFAB de permettre le hidjab pour les joueuses musulmanes, la Fédération française de football (FFF) a immédiatement réagi. Pas question d’autoriser les joueuses françaises (les joueuses d’équipes nationales affrontant la France ne seront pas visées) à porter le voile, au nom de la laïcité.

Et la FIFA n’a pas expulsé la France de ses rangs. Appelons ça un accommodement footballistique raisonnable enrobé dans l’exception culturelle. C’est conséquent avec le consensus français.

Où je m’en vais avec mes crampons ?

La prochaine fois, pour éviter de dire une bêtise, et agir en souverainiste, la première ministre devrait dire ceci : « Si le Québec était un pays, la Fédération québécoise de soccer serait l’autorité ultime en matière d’application des lois du jeu de la FIFA au Québec. Voyez la FFF, sur le hidjab… »

— Sources : Friends of Soccer, Le Monde, The Guardian, FIFA.

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