Chronique

L’apocalypse
selon Kassovitz

Il n’a pas la langue dans sa poche, Mathieu Kassovitz. L’acteur et cinéaste français de 46 ans est reconnu pour ses coups de gueule. Il déclarait il y a un an que le cinéma français n’était plus excitant et qu’il n’était plus fier d’être français. Il ne semble pas avoir changé d’avis.

« Les films ne marchent plus, se désole-t-il, attablé au restaurant d’un hôtel du Vieux-Montréal. On ne peut plus faire du Costa-Gavras aujourd’hui. Il faut faire du Paul Greengrass : du spectacle avec des superstars, des armes et des explosions. Pas un petit film politique intéressant. »

L’acteur d’Amen (de Costa-Gavras) semble être resté blessé par l’expérience de L’ordre et la morale, son plus récent film (2011), qui traitait d’une intervention militaire française contre des insurgés indépendantistes en Nouvelle-Calédonie, dans les années 80.

L’œuvre, dénoncée par certains militaires et hommes politiques de l’époque, n’a pas connu le succès escompté en salle et a été snobée par la cérémonie des Césars, où Kassovitz avait été célébré, à seulement 27 ans, grâce à son film le plus marquant, La haine.

« Je n’ai pas vraiment envie de passer des années à faire un film politique qui sera démonté par des gens qui ne l’ont même pas vu, dit Kassovitz. L’ordre et la morale est, je crois, plus puissant que La haine, d’un niveau politique et social, et personne n’est allé le voir. En 20 ans, on est passé, en France, d’avoir une conscience politique à ne plus aller dans la rue. »

Dans ce contexte, on ne sent plus chez le réalisateur la flamme du cinéma. Mais une envie certaine de discuter de politique, lui qui est à Montréal cette semaine afin de faire la promotion de la série Apocalypse, la 1ère Guerre mondiale, à l’affiche à TV5 dès le 5 mai (à 21 h), dont il assure la narration.

« J’ai fait une étude… », dit-il, s’arrêtant en pleine phrase pour me demander si je travaille pour un média « sérieux ». Il veut être prudent. Pour ses prises de position et ses déclarations-chocs, il a été accusé de bien des choses en France, notamment d’antisémitisme, pour avoir cité Goebbels, à la télévision nationale, en parlant des mensonges qui, à force d’être répétés, sont pris pour des vérités.

Ce fils de déporté juif hongrois ne craint pas la controverse, ni de s’aventurer en terrain miné. Il hésite un moment, mais sans que je n’aie à lui poser la question, me parle finalement des recherches qu’il a réalisées sur le 11-Septembre, « par intérêt personnel », et qui le portent à émettre des doutes sur l’implication du gouvernement américain dans cette tragédie, qu’il décrit comme un nouveau Pearl Harbor.

« Ma théorie, c’est que dans le monde dans lequel on vit, la version du 11-Septembre telle qu’on nous l’a présentée est impossible. Im-po-ssi-ble. Il y a des gentils d’un côté et des méchants de l’autre ? Ça n’a jamais existé dans l’histoire. Ben Laden n’est pas Hitler. Ce n’est pas la même personne. »

Kassovitz regrette que l’on ne puisse débattre du 11-Septembre, en particulier en France, selon lui, sans être accusé de révisionnisme. Il dit n’accorder aucune crédibilité à la légende urbaine voulant que des Juifs aient été informés à l’avance de l’attaque sur les tours du World Trade Center. Mais certaines de ses préoccupations rejoignent celles de plusieurs adeptes de théories du complot…

« Je crois que les gens ne sont pas prêts psychologiquement à accepter qu’il y ait même 1 % de différence entre ce que l’on nous dit du 11-Septembre et la réalité, dit-il. Et pourtant, le jour même du drame, on avait déjà toutes les réponses à qui a fait quoi et comment… »

Un paranoïaque, Mathieu Kassovitz ? Certainement un sceptique doublé d’un pessimiste. « Je ne pense pas que, dans les 50 prochaines années, je vivrai sans voir des trucs absolument dramatiques. Je ne vois pas comment ça peut aller vers le bien. Mais depuis que j’ai compris ce qui s’est passé autour du 11-Septembre et comment, à travers l’histoire, le monde fonctionne, je suis beaucoup plus heureux. »

Il dit préférer la lucidité à l’ignorance. « Je préfère comprendre comment on se fait embobiner », dit-il. L’apocalypse a existé, elle a décimé des populations entières et il faut se tenir en alerte afin d’éviter qu’elle ne se reproduise, dit-il, en parlant de la série historique populaire (300 millions de spectateurs dans 165 pays pour son premier volet seulement, sur la Seconde Guerre mondiale) à laquelle il prête sa voix depuis 2009.

Paradoxalement, le narrateur de cette série documentaire aux accents pacifistes croit que l’Homme devra inévitablement payer pour ce qu’il fait subir à la planète. « Je ne suis pas contre les guerres, personnellement. Parce que de toute façon, il va falloir se débarrasser d’une partie de la population. Puisqu’on va être trop. Les choses se régulent d’une manière ou d’une autre, mais il y a des gens qui vont payer. »

Kassovitz pourfend le capitalisme, source d’inégalités (« Le capitaliste ultime, c’est le mec qui a le sourire quand il se fait pendre avec la corde qu’il a négociée au meilleur prix ! ») et multiplie les déclarations controversées sur les médias sociaux.

« Je pense que ce ne sont plus les bombes nucléaires qui gardent le monde en équilibre, dit-il. C’est YouTube. On est au courant avant même les gouvernements. On est plus informés grâce à nos comptes Twitter que les gouvernements avec la NSA. Par contre, ils ont davantage les moyens de manipuler l’information… »

Un irrécupérable cynique, Mathieu Kassovitz ? « Je n’ai pas honte de le dire, j’ai besoin de faire partie du 1 %. J’ai une famille et je ne veux plus prendre de risques. C’est bien de vouloir être un artiste, mais être l’artiste qui en arrache, ça ne m’intéresse plus. C’est une connerie. Personne n’en a rien à foutre. Tu ne peux pas changer le monde comme artiste, même si tu as du succès. Ce qui m’intéresse, c’est de protéger ma famille, et de le faire le plus vite possible ! Parce que les news m’inquiètent… » On dirait bien, oui.

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