Chronique

Jeune.

Et terroriste…

Des garçons prêts à se tuer… à 15 ans. Pas de maudit bon sens !

C’est en gros ce que je me disais vendredi matin. Oui. Vendredi. Matin. Avant les attentats de Paris.

Je lisais alors Le Monde, en vue de la conférence de Paris. Entre un texte sur le legs climatique d’Obama et un autre sur la lutte des entreprises contre le réchauffement, une longue entrevue sur « la folie djihadiste » a attiré mon attention.

Une entrevue fascinante qui s’est avérée funeste, finalement, prophétique même.

J’ai dévoré cet échange avec le psychanalyste Fethi Benslama, spécialiste du fait religieux, comme je dévore les propos de tous les experts modérés de l’islam par les temps qui courent. Parce qu’ils offrent du sens là où il y en a si peu.

Dans ce texte, M. Benslama révélait que les deux tiers des radicalisés recensés en France ont entre 15 et 25 ans, « période de la vie portée par une avidité d’idéaux sur fond de remaniements douloureux de l’identité ».

Entre 15 et 25 ans, bordel. Pas de bon sens, que je me disais.

Puis boum. Des kamikazes sautaient à Paris quelques heures plus tard. Dont deux possiblement, selon Europe 1, avaient entre 15 et 18 ans.

Mais comment peut-on accoler deux mots aussi antinomiques que « jeune » et « terroriste » ? Comment peut-on choisir la mort avant même d’être majeur ? Comment un garçon qui vient de quitter la puberté peut-il vouloir tuer des dizaines d’innocents ?

Je suis retourné lire le texte, hier. Pour essayer de comprendre. Pas excuser, pas justifier, comprendre.

Certains ont déjà sauté cette étape. Ils sont dans les attaques et les mises en accusation. Mais j’ai la naïveté de croire – la « bien-pensance », paraît-il – qu’on peut essayer de comprendre sans justifier, qu’on peut décortiquer l’islamisme sans verser dans l’islamophobie.

C’est ce que permettent de faire les lumières de M. Benslama, justement, comme celles du philosophe Abdennour Bidar d’ailleurs, qui était de passage à Montréal il y a quelques jours.

Spécialiste à la fois des comportements et du fait religieux, Fethi Benslama décrypte les ressorts de « la folie djihadiste ». Il tente de comprendre l’islamisme radical, qu’il voit comme un « couteau suisse de l’idéalisation, à l’usage des désespérés ».

Car à la base, il y a souvent un jeune en détresse, qui souffre et se cherche. Des tourments qui s’intensifient « là où il y a malheur et honte d’être », précise-t-il dans l’entrevue au Monde.

Le jeune se dit qu’il ne vaut rien, qu’il est une malfaçon, un déchet. Un malaise que l’islamisme lui renvoie en miroir, avec explication et solution à la clé : tu es indigne, oui, parce que tu es sans foi ni loi.

« L’offre djihadiste capte des jeunes qui sont en détresse du fait de failles identitaires importantes, estime le professeur de l’Université Paris Diderot. Elle leur propose un idéal total qui comble ces failles, permet une réparation de soi, voire la création d’un nouveau soi. »

Elle leur offre ainsi une porte de sortie, un débouché, « une sédation de l’angoisse ». Elle leur permet de se faire pardonner, en devenant des missionnaires de la cause, des martyrs. Elle transforme ainsi la fragilité identitaire en une puissante armure.

Ce n’est plus un attentat-suicide que commet alors le jeune, mais un autosacrifice. Ce n’est plus pour tuer qu’il agit, mais pour venger l’offense à l’idéal. Ce n’est plus la mort qu’il convoite, mais « un transfert par l’idéal absolu vers l’immortalité ».

« À travers le spectacle cruel des corps disloqués, il laisse une scène terrifiante de destruction de la figure humaine de l’ennemi », expliquait M. Benslama, vendredi. Tel un présage de l’imminent.

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