Stratégies

Le grand déblocage de Behaviour

Par trois fois depuis 2004, le studio de jeux vidéo québécois Behaviour, surtout reconnu pour son travail à titre de sous-traitant, a tenté de lancer un jeu de son propre cru. Ni Scaler, ni WET, ni Naughty Bear n’ont connu le succès commercial escompté. C’est finalement la quatrième fois qui aura été la bonne.

Lancé en juin 2016, le jeu d’horreur Dead by Daylight a changé le cours de l’histoire pour Behaviour, dont les revenus annuels ont soudainement bondi de quelque 26 à 41 millions, en grande partie grâce à cette production. L’investissement initial n’était que d’environ 5 millions, partagé à parts égales entre l’entreprise et l’éditeur Starbreeze.

Fondée il y a 24 ans et longtemps connue sous le nom d’A2M, Behaviour emploie aujourd’hui environ 300 personnes au centre-ville de Montréal. Celles-ci travaillent sur 15 à 20 projets à la fois.

Près des deux tiers des employés de Behaviour sont affectés à sa division des « services », qui crée des jeux à forfait. Celle-ci a toujours fait le pain et le beurre de l’entreprise et elle a connu ses propres succès récemment.

En 2015, par exemple, elle a coup sur coup réalisé à 100 % le jeu mobile Fallout Shelter et des portions du jeu pour consoles Fallout 4, qui ont tous les deux largement contribué aux résultats financiers de son client, Bethesda.

Mais parce qu’ils sont à son avis la seule façon de « créer de la valeur », le président et propriétaire Rémi Racine a toujours souhaité voir son entreprise réussir à lancer ses propres jeux.

En 2013, alors que les services représentaient 100 % des revenus d’environ 22 millions de dollars de Behaviour, la direction s’est fixé pour objectif un partage égal entre services et revenus tirés de l’édition de ses propres jeux en 2017. Si les prévisions budgétaires de 2017 sont respectées, l’objectif ne sera pas atteint, mais on s’en approchera. Les revenus d’édition devraient alors atteindre eux aussi 22 millions de dollars, ou 42 % d’un total prévu de 52 millions.

Bouleversement numérique

Scaler, WET et Naughty Bear ont tous été lancés à une époque où la distribution de jeux vidéo sur consoles ou ordinateurs passait exclusivement, ou presque, par les détaillants. Depuis, la montée en popularité des plateformes de distribution par téléchargement, notamment la boutique Steam sur PC, a créé de nouvelles occasions.

« Au moment de lancer Naughty Bear [en 2010], Steam n’était pas assez fort, explique M. Racine. Là, nous pouvons nous concentrer uniquement sur les ventes numériques. »

Behaviour n’est pas la seule à avoir vu une occasion dans cette transformation. Le marché du jeu vidéo, qui vers la fin des années 2000, a commencé à écarter les productions à moyen ou petit budget axées sur des franchises connues, a vu des centaines de petits producteurs se lancer dans un nouveau créneau.

« Nous avons décidé d’être présents dans les “petits” jeux, avec des budgets de 5 à 10 millions de dollars. »

— Rémi Racine, président et propriétaire de Behavior Interactive

« On ne veut pas affronter les grands éditeurs, et de toute façon, ce serait un trop grand risque. Je pense qu’il y a un marché pour des jeux de moins de 15 millions et un autre pour ceux de plus de 60 millions, mais rien entre les deux », explique M. Racine.

Dead by Daylight et toutes les futures créations maison de Behaviour sont exclusivement destinées au jeu à plusieurs. Les avantages sont nombreux.

« C’est ce que les gens veulent, indique d’abord M. Racine. Ça fait en sorte qu’il n’y a pas deux parties pareilles. Nous pouvons aussi créer des niveaux de façon procédurale, plutôt qu’à la main, ce qui réduit les coûts. »

Le concept favorise aussi la propagation du jeu, les joueurs attirant d’eux-mêmes leurs amis pour les affronter. Et il permet plus facilement d’implanter un modèle de revenus récurrents. Dead by Daylight emploie d’ailleurs une quarantaine de personnes maintenant pour développer des mises à jour, alors qu’ils n’étaient que 25 à créer le jeu original.

Behaviour en chiffres

Employés : environ 300

Bureaux : Montréal et Santiago (Chili)

Revenus : 41 millions (2016)

Nombre de joueurs de Dead by Daylight : 1,6 million

Actionnaire unique : Rémi Racine

Forces

• Excellente exécution

• Créativité (« Mais à ce chapitre, nous valons ce que vaut notre dernier projet », selon M. Racine)

Faiblesses

• Sous-capitalisation qui complexifie la prise de risques

• Manque d’expertise en marketing, difficile à trouver à Montréal

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