Anne-France Goldwater

Sans peur ni pudeur

Les deux gorilles en peluche de mon souvenir ont changé de fauteuil, mais sont demeurés les vedettes incontestées de la réception des bureaux de Goldwater, Dubé. Idem pour les gros bouquets de fleurs en plastique, les bibelots, les figurines, dont celle d’Eric Cartman, le sociopathe nazi de la série grinçante South Park, et la montagne de livres juridiques qui compte maintenant un nouvel ouvrage sur la série culte Breaking Bad. Quant aux vieilles croûtes de paysages bucoliques au goût douteux, elles triomphent toujours sur les murs.

Rebienvenue dans l’antre de maître Anne-France Goldwater, l’avocate en droit de la famille la plus connue du Québec, rendue célèbre par l’affaire Éric et Lola, un personnage haut en couleur et aux formes généreuses, et, comme l’indique le titre de la biographie qui paraît cette semaine sous la plume de Martine Turenne, une femme plus grande que nature.

Il y a cinq ans, alors qu’elle s’apprêtait avec jubilation à animer l’émission L’arbitre sur V, j’étais allée à sa rencontre au 23e étage d’une tour de la Place Alexis Nihon. Elle m’avait accueillie dans son bureau, maquillée, coiffée, chromée, en talons hauts et en robe dorée, façon Goldfighter, le surnom que lui a valu sa participation au Combat des livres de Christiane Charette.

Au bout de 20 minutes, alors que nous nous connaissions à peine, elle avait déballé son sac et tout raconté : l’aventure extraconjugale de sa mère Ruth Zendel avec le mari de Claire Kirkland-Casgrain, son avortement, sa dépression et son suicide alors qu’Anne-France n’avait que 3 ans, puis son enfance misérable, avenue Déom à Outremont, dans une maison sale et en ruine, entre un père dépressif qui la battait et une grand-mère acariâtre qui se foutait d’elle, ses amours tumultueuses dès l’âge de 13 ans avec un prof juif qui avait le double de son âge et qu’elle a fini par épouser, puis avec un jeune amant musulman deux fois plus jeune qu’elle, et finalement sa rencontre miraculeuse avec Leonel, un Salvadorien catho avec qui elle vit toujours.

Elle m’avait tout raconté, puis sans crier gare, elle avait éclaté en sanglots avec une telle intensité qu’on aurait pu croire que ces événements s’étaient passés la veille et non pas il y a plus de 30 ans.

D’où mon étonnement de voir que cinq ans plus tard, elle ait accepté de revenir en long, en large et en détail sur cette enfance malheureuse, dans un livre où une fois de plus, elle déballe tout, sans filtre ni censure.

Pourquoi, Anne-France, enfoncer à nouveau le couteau dans la plaie ?

Cette fois, elle m’accueille dans son bureau pas maquillée, pas coiffée, en gougounes et presque en robe de chambre, en raison d’un procès imminent qu’elle a passé la journée à préparer. Nous ne nous sommes pas vraiment revues depuis la dernière entrevue, et pourtant j’ai l’impression de retrouver… une vieille amie. Comme si on se connaissait depuis toujours. Sensation à la fois étrange et très agréable, qui est, j’en suis convaincue, l’œuvre d’une femme qui joue les bouffons, dit des choses énormes et pas imprimables, qui n’hésite jamais à passer pour une folle ou une obsédée sexuelle, mais qui, fondamentalement, est une grande humaniste dotée d’un cœur d’or et d’un supplément de chaleur humaine.

« Pourquoi ce livre ? répète-t-elle. C’est exactement ce que j’ai demandé à mon ami Yves Thériault [le producteur délégué de L’arbitre] qui m’achale depuis des années pour que je fasse cette bio. J’avais beau lui dire que je ne voyais pas en quoi les épreuves que j’ai traversées pourraient intéresser les gens, il insistait. Selon lui, le fait que j’ai vécu ces épreuves, ces crises et cette tristesse, dus notamment à un syndrome post-traumatique diagnostiqué par mon psy, et que malgré tout je sois devenue une personne joyeuse, cela non seulement méritait d’être raconté, mais pouvait être utile aux autres. »

Son ami avait raison. Car la pièce maîtresse de la vie d’Anne-France Goldwater, c’est à coup sûr la résilience phénoménale dont elle a fait preuve, résilience alimentée par quatre psys, d’abord trois hommes dont le docteur Spee, mort d’insuffisance rénale en même temps que Rocco, le chien adoré de l’avocate.

Ces temps-ci, Anne-France consulte Karen, la première femme psy à qui elle fait appel. Je lui demande si la psy était d’accord avec l’idée de la bio. Oui, répond Anne-France. J’ajoute : même si une fois de plus, tu te retrouves exposée à tous les regards ?

« Tu sais, ce n’est pas une décision que j’ai prise de manière impulsive. J’y ai longuement réfléchi. Moi, je n’ai rien à cacher. C’est pourquoi je ne joue jamais au poker. Je n’ai pas de double face. What you see is what you get. Mais j’ai fait attention de garder mes enfants un peu en dehors du livre. Ils ne voulaient pas que j’expose leur vie privée et j’ai respecté ça.  Pour le reste, je n’ai pas peur de ce que les gens vont penser. J’ai été tellement traitée de tous les noms pendant l’affaire d’Éric et Lola que plus rien ne m’atteint vraiment. »

Stoïque devant l’adversité, sans peur ni pudeur, ne craignant pas les attaques personnelles ni de froisser les sensibilités (notamment celle du juge Kirkland-Casgrain qui, pour son plus grand bonheur, dit-elle, refuse de traiter ses dossiers), Anne-France Goldwater est une battante, une gagnante… qui ne gagne pas toujours. Ainsi, en septembre, en raison d’une poursuite pour redevances impayées qu’elle a intentée contre ses producteurs, elle a dû se priver du grand bonheur de siéger comme juge à L’arbitre.

« J’adore cette émission, mais ils sont en train de la tuer. Les gens croient que la poursuite est une affaire d’argent, mais c’est d’abord une affaire d’éthique. La beauté de L’arbitre, c’est qu’elle démocratise la justice. L’émission rend la justice accessible à des gens sans moyens et qui ne savent pas ce qu’est un contrat ni comment tout cela fonctionne. C’est une émission qui fait œuvre utile et sociale, sauf que ces gens-là – qui ne sont pas des vedettes de téléréalité, mais de vraies gens aux prises avec toutes sortes de problèmes –, ces gens-là doivent avoir le droit de retrouver leur vie et leur anonymat, une fois l’émission diffusée. Pour éviter que quatre ans plus tard, s’ils ont recommencé leur vie, le passé ne vienne les rattraper et tout gâcher à cause d’une rediffusion. Je pensais que dans mon contrat, c’était clair. Quand j’ai vu qu’ils ne comprenaient pas l’argument de l’éthique, je me suis dit, ils vont comprendre l’argument de l’argent. On a essayé de régler à l’amiable en février, ça n’a pas marché, mais je n’ai pas perdu espoir qu’on finisse par s’entendre. »

L’avocate entretient le même espoir dans le litige qui oppose son client Pierre Karl Péladeau à Julie Snyder.

Certains ont été surpris, voire estomaqués, d’apprendre que celle qui, au nom du féminisme, avait défendu la célèbre Lola contre le millionnaire Éric change de trottoir pour cette fois défendre les intérêts d’un millionnaire tout-puissant.

« Les deux affaires ne sont pas comparables. Pierre Karl et Julie sont tous les deux des gens d’affaires, indépendants de fortune. Le conflit n’est pas du même ordre. Ce qui m’a ralliée à cette affaire, c’est que le père, dans ce cas-ci, a fait pour ses enfants le sacrifice ultime : celui de sa carrière politique. Son cas est exceptionnel et les exceptions sont toujours riches en enseignements. Cela dit, j’espère très sincèrement apporter un peu de sérénité à ces deux-là, et s’il faut que je le fasse bras dessus, bras dessous avec Suzanne Pringle [l’avocate de Julie], je le ferai. Vivre une rupture en public apporte une souffrance supplémentaire. Mais quand je regarde Éric et Lola – Lola qui a eu un autre enfant dont Éric assure la survie financière –, quand je vois la belle relation qu’ils ont maintenant, je me dis qu’il y a moyen de réparer une relation, aussi explosive et conflictuelle soit-elle. »

Et la mairie de Montréal dans tout cela ? Va-t-elle se présenter aux prochaines élections comme elle l’a laissé entendre ?

« On m’invite à faire de la politique depuis l’âge de 17 ans. J’ai toujours refusé. Je n’ai aucun talent pour l’hypocrisie ni la langue de bois. Mais j’ai un esprit rassembleur et une capacité à résoudre des conflits et, à l’âge que j’ai [56 ans], c’est évident que j’aimerais contribuer d’une autre manière qu’à titre d’avocate. »

— Anne-France Goldwater

« Cela dit, l’idée de la mairie m’est venue quand j’ai découvert qui était vraiment Denis Coderre derrière son image de bon vivant. C’est un être autoritaire et fermé. Il n’avait pas d’affaire une seule minute à aller à Téhéran au nom des Montréalais, encourager un régime terroriste. Ça sera quoi, la prochaine fois ? Il va aller en Syrie ? À Moscou rencontrer Poutine ? Fucking asshole ! »

Chaque fois que l’Iran revient sur le tapis, celle qui a voté fièrement pour Stephen Harper et qui a toujours un drapeau d’Israël dans son bureau sort de ses gonds. Mais assez pour vouloir se mesurer à Denis Coderre électoralement ?

« J’attends de voir qui va se présenter contre lui. S’il y a des candidats sérieux, alors je vais laisser tomber, sinon… l’élection est dans un an et Denis Coderre ne le sait pas, mais je suis plus populaire que lui », dit l’avocate avec un sourire coquin.

Le temps a filé comme un voleur. J’aurais pris du Anne-France Goldwater pour plusieurs heures encore tellement elle est drôle, attachante et plus réfléchie et profonde que son image ne le suggère. Mais comme elle ne risque pas de disparaître de la scène publique avant longtemps, ce n’est que partie remise.

Anne-France Goldwater

Si Anne-France Goldwater était…

Une ville

New York, un moteur puissant dont les tours touchent imprudemment le ciel. Une maison qui accepte tout le monde avec un appétit pour la grande et la petite culture, pour toutes les nourritures, et animée par une indéniable joie de vivre.

Un personnage historique

L’honorable Lord Denning, qui incarnait tout ce qui est noble et grand du common law anglais.

Un héros ou une héroïne de BD

Red Sonja, qui a un goût sûr, pour son armement (j’adore son bikini de métal) et encore plus pour les hommes (Conan le barbare et Spider-Man). En voilà une en plus qui sait manier l’épée.

Un remède

La soupe au poulet avec des boulettes de matzo. La soupe pour guérir les maux et les boulettes de matzo pour vaincre ses ennemis.

Une chanson

Hurt de Nine Inch Nails ou Johnny Cash.

Un livre

Anne-France Goldwater : Plus grande que nature, signé par l’incroyable Martine Turenne qui me comprend mieux que moi-même. Ou encore : We the Living, d’Ayn Rand, à cause du personnage de Kira Argounova auquel je m’identifie.

Un édifice

La Forteresse de la Solitude, le lieu de consolation et de contemplation solitaire où se réfugie Superman.

Une idée politique

Un libertarisme hybride doublé d’un maintien fort des droits civils et des libertés.

Un personnage de roman

Lord Toranaga dans Shōgun de James Clavell, pour ses talents dans la guerre comme dans l’intrigue politique. Un bon livre à lire en pensant à Denis Coderre.

Un autre métier qu’avocate

Généticienne chargée d’un immense laboratoire privé, qui sans pression économique ferait des recherches de base sur la génétique, pour comprendre les maladies provoquées par les gènes et les guérir.

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