NOËL MITRANI

à sa manière

Cinéaste travaillant de façon indépendante, Noël Mitrani propose, avec des films tels The Kate Logan Affair et Le militaire, des œuvres au regard très singulier. Dans Cassy, son nouveau film présenté aux Rendez-vous Québec cinéma (RVQC), il raconte l’histoire d’une fillette (Natacha Mitrani) prise entre l’amour de Maya (Ayana O’Shun) qui comble l’absence de sa mère qui est morte et le comportement dégoûtant de son père Karl (Stéphane Krau).

C’est votre troisième film indépendant. Est-ce conditionné par des refus de financement ou une volonté à naviguer hors norme ?

Un peu des deux. J’ai de la difficulté à me faire financer. Lorsque je propose des scénarios aux institutions, j’ai du mal à me faire comprendre. Mes films sont souvent massacrés par les analystes de la SODEC et de Téléfilm. À la fin, je ne les reconnais plus. Je me perds là-dedans alors que j’ai la conviction d’avoir quelque chose de personnel à dire. Le mieux est d’essayer de m’exprimer seul même si je n’ai pas beaucoup d’argent.

Cela donne-t-il davantage de libertés ?

Ça donne la liberté, tout court. À partir du moment où on cherche du financement, on est toujours obligé de faire un compromis sur le contenu. Les gens ne donneront jamais d’argent sans intervenir dans le contenu. Si c’était pour un film de superhéros, je comprendrais. Mais à partir du moment où on a affaire à un film d’auteur, je ne comprends pas la démarche de considérer l’analyse de 10 personnes sur un feeling qui est, à la base, personnel. En me produisant moi-même, je gagne du temps et je réussis à conserver le contenu d’origine, ce qui m’est le plus important.

Mais il y a des factures à payer ! Vivez-vous de votre art ?

Pas spécialement ! Il coûte plus cher qu’il rapporte. En général, on ne parle cependant pas de très grosses sommes [NDLR : à la production]. Avec les années, j’ai acquis une certaine méthode et j’ai beaucoup de gens qui m’aident. J’essaie de gagner de l’argent par d’autres moyens, des jobines. Et j’ai aussi le soutien de ma femme.

Parlons du film. Comme dans certaines de vos œuvres antérieures, nous retrouvons ici un homme en situation conflictuelle avec une femme. Pourquoi ce thème récurrent ?

Il y a quelque chose dans les relations hommes-femmes qui me passionne. Sans m’en rendre compte, il se dessine une trajectoire, des thèmes, au fil de mes films. Dans le cas présent, les récentes histoires autour du harcèlement sexuel m’ont interpellé. Il faut peut-être remonter aux années 60 pour que nous ayons un phénomène culturel aussi massif sur la redéfinition des rapports entre l’homme et la femme. On arrive à un moment de civilisation où il faut se dire : ça suffit, les gars. Je suis par ailleurs un homme de famille. Mariés depuis 25 ans, ma femme et moi avons trois enfants.

Le personnage de Karl est très désagréable. Contrairement à vos films précédents, on ne ressent aucune empathie envers ce personnage masculin…

C’était ça, le projet. Ça n’a pas été facile avec Stéphane Krau. Je lui ai dit que nous n’allions pas travailler sur son humanité, mais sur un mauvais comportement masculin, autant comme père que comme homme. C’est une des premières fois de ma vie que je fais un film à message. Ici, j’avais envie de dire aux hommes : ne faites pas ça !

Il y a aussi, comme le titre le suggère, une volonté de raconter l’histoire du point de vue de l’enfant.

Je voulais raconter l’histoire d’une petite fille qui souffre d’une mauvaise relation avec son père sur fond de deuil de sa mère. C’est le cœur du récit. Et je voulais que le message autour du harcèlement sexuel s’imbrique dans le récit de façon inattendue, sans que ce soit moralisateur, mais plutôt pour créer un malaise. Il propose un deuxième niveau de lecture du film. Cassy est prise entre deux personnages adultes, mais ne comprend pas ce qui se passe.

Votre fille Natacha joue Cassy. La diriger est-il une tâche difficile ?

On ne peut même pas parler de direction. Elle a une capacité à comprendre des intentions de jeu qui sont d’une maturité incroyable. Je lui demande de faire des choses et elle les comprend intuitivement. Elle est très précise et installe un grand naturel autour d’elle. Elle devient un repère autour duquel tout le monde s’aligne.

À la salle Fernand-Seguin de la Cinémathèque québécoise, demain, 11 h

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