Opinion  Système de santé

Une médecine de quantité, et non de qualité

Une urgentologue raconte son désarroi devant le travail bâclé d’un collègue

J’ai perdu il y a quelques années mon médecin de famille. Devant la difficulté de trouver un nouveau médecin à Montréal et compte tenu que je suis en bonne santé, j’ai vite abandonné les efforts pour en trouver un nouveau.

Toutefois, il m’est apparu que l’autogestion de ma santé n’était pas la meilleure chose et j’ai entrepris de trouver un médecin l’an dernier. Après de très nombreux appels infructueux, une clinique montréalaise m’informait qu’un de leur médecin acceptait de nouveaux patients et j’obtenais un rendez-vous un mois plus tard.

Me voilà donc un matin, assise dans la salle d’attente et soulagée de pouvoir confier mes petits bobos à un une oreille professionnelle externe et indépendante. La visite a été toute une surprise et j’en suis sortie fort découragée. Le médecin m’a accueilli sans un regard et sans me dire bonjour, un iPad entre les mains. Bon, au moins, il est de son temps, me suis-je dit.

À ma grande surprise, aucune question ouverte du genre « Comment allez-vous ? ». Pourtant, il est d’usage de commencer par une question ouverte pour permettre au patient de s’exprimer dans ses mots sur la question principale qui le préoccupe. L’essentiel de la visite s’est déroulé comme suit : « Vous désirez un suivi ? » Oui. « Vous avez une gynécologue ? » Oui. « Vous prenez quoi comme médicaments ? » J’énumère la liste.

Et voilà qu’après ce court questionnaire, le médecin m’invite à m’asseoir sur la table d’examen pour prendre ma tension artérielle et m’ausculter.

J’ai résisté à l’envie de demander les valeurs de ma tension, mais j’ai voulu savoir si elles étaient dans les normes. En guise de réponse, j’ai eu droit à un regard entendu me laissant entendre que c’était là une question inopportune. La visite s’est terminée par un petit papier avec des prises de sang à réaliser : « Est-ce vraiment nécessaire ? », ai-je demandé. « À votre âge », m’a-t-il répondu. Une autre question de trop.

La visite totale a duré à peu près huit minutes. Pas mal court, mais je dois avouer que j’étais soulagée de sortir du bureau, le professionnel ne dégageant ni empathie ni compétence.

Je suis repartie frustrée d’avoir perdu mon temps, mais surtout complètement abasourdie devant cette consultation totalement inutile. Ce médecin ne sait rien de moi ou de mon état de santé.

INACCEPTABLE

J’ai voulu rapidement oublier cette rencontre et passer à autre chose. Toutefois, je n’ai pu m’empêcher de penser qu’une telle façon de faire n’avait aucun sens et était presque dangereuse. J’aurais pu être dépressive, suicidaire, avoir des mots de tête incapacitants, avoir une dépendance à l’alcool… il n’en aurait rien su. Et comment se fait-il que moi, urgentologue, je passe plus de temps avec mes patients ? À contrecœur, j’ai fait une plainte au Collège des médecins.

Selon le ministre Barrette, ce médecin devrait plutôt être félicité, puisqu’il peut prendre en charge un nombre appréciable de patients. Sur papier, c’est A+, alors qu’il est évident que ce médecin échoue lamentablement quant à la qualité des soins.

Quel médecin compétent et consciencieux veut exercer de cette manière ? Il est évident à mes yeux qu’imposer des quotas de patients aboutira à une médecine de quantité et non de qualité.

Soigner adéquatement des gens prend du temps. Il n’est pas possible d’évaluer adéquatement la santé d’une personne en huit minutes à moins de problèmes mineurs, et encore. Les omnipraticiens suivent des patients avec des problèmes variés de plus en plus complexes. Il faut leur donner les moyens de continuer à bien le faire. Leur imposer des quotas aboutira à une démobilisation des omnipraticiens compétents et engagés, puisqu’il leur sera impossible d’offrir des soins de qualité. La population – surtout les gens les plus malades – n’y gagnera rien.

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