Mexique

En prison pour un avortement

Mexico

 — Légal dans la capitale mexicaine, l’avortement est férocement combattu dans le reste du pays. Victimes de préjugés moraux et religieux, des femmes ayant subi un avortement volontaire ou spontané sont condamnées à passer plusieurs années derrière les barreaux. Les associations dénoncent une véritable « chasse aux sorcières ».

La plupart du temps, ce sont les médecins, les infirmières ou les assistants sociaux qui les dénoncent aux autorités. Parfois, ce sont les membres de leur propre famille qui les rejettent et les accusent. 

Au Mexique, les femmes qui osent recourir à l’avortement sont non seulement la cible de discrimination, elles risquent aussi de quinze jours à six ans de prison, selon les États. 

Dans certaines régions, si l’interruption de la grossesse est pratiquée au-delà des 20 semaines de gestation ou qu’une fausse couche survient tardivement, il n’est pas rare que la femme soit accusée d’infanticide. Dans ce cas, la peine peut s’élever à 30 ans d’emprisonnement.

« Les autorités n’hésitent pas à qualifier un avortement spontané d’homicide, sans présenter de preuves valides que l’enfant était réellement né vivant », affirme Verónica Cruz, qui évalue à 175 le nombre de cas de ce type au pays. 

Cette militante est à la tête de l’association de défense des femmes Las Libres, basée à Guanajuato, dans le centre du pays. En 2010, cette association a obtenu la libération de sept prisonnières accusées d’infanticide. Certaines avaient avorté clandestinement suite à un viol, d’autres avaient simplement souffert d’une fausse couche.

« Nous avons remarqué une constante dans ces accusations : elles visent généralement des femmes pauvres, issues de communautés indigènes marginales, qui n’ont pas les moyens de se défendre », explique Verónica Cruz. 

Pour elle, ces procès se basent sur des critères moraux et religieux, plus que juridiques ou scientifiques. « Bien souvent, ces femmes ont un mari qui a émigré aux États-Unis et leur grossesse est le fruit d’un adultère. Elles sont victimes d’une idéologie machiste ancrée dans la société, de cette idée qu’il faut préserver l’honneur masculin », dénonce la directrice du centre Las Libres.

Légal à Mexico

À contre-courant de cette politique inquisitoriale, l’interruption de la grossesse est autorisée dans le District Fédéral, la capitale, sur simple demande de la femme. 

Dans la ville de Mexico, environ 20 000 avortements sont réalisés gratuitement chaque année. Une grande partie de ces femmes viennent d’autres régions du pays, où un catholicisme conservateur conditionne des législations rétrogrades.

En 2008 et 2009, une vague de réformes stipulant que la vie débute à la conception s’est imposée dans 16 États. Cependant, tous les États mexicains, y compris les « pro-vie », reconnaissent le droit des victimes de viol à interrompre une grossesse. Or, dans la pratique, cette exception n’est pas toujours respectée.

Ces dernières années, plusieurs scandales ont éclaté quand des adolescentes victimes d’agressions sexuelles, certaines âgées de 12 ans, se sont vues refuser par la justice l’autorisation d’avorter. Et dans l’État de Guanajuato, les médecins invoquent systématiquement des croyances religieuses pour éviter d’appliquer cette norme.

« Nous pensions qu’après la libération des sept femmes de Guanajuato, la situation allait s’améliorer, raconte Verónica Cruz. Or, à l’inverse, nous avons découvert que la criminalisation des femmes s’étendait à tout le pays. »

Dans l’État de Guerrero (sud-ouest), Adriana Manzanares, une mère de famille de 27 ans, a passé près de huit ans en prison après avoir perdu l’enfant qu’elle attendait d’une relation hors mariage. Lors de son procès, elle n’a pas eu droit à un traducteur en langue indigène, malgré qu’elle ne comprenait pas l’espagnol. Fin janvier, la Cour suprême a ordonné sa libération immédiate, rendant l’espoir aux dizaines de Mexicaines victimes de la même persécution.

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