Les libéraux au pouvoir

Trudeaumanie, version 1.0

Non, Justin Trudeau n’est pas le premier de sa lignée à faire chavirer les foules et à être célébré comme l’emblème d’une génération. La « Trudeaumanie », ou le courant électrique créé par l’arrivée de son père sur la scène nationale en 1968, a sévi pendant environ trois ans. Explications en cinq temps.

PROGRESSISTE 

1967, année de l’amour et de l’Expo. Les baby-boomers font trembler leurs aînés dans un pays encore dirigé par un septuagénaire. Pierre Trudeau, alors ministre de la Justice, n’est pas si jeune (48 ans), mais son style tranche sur la colline parlementaire. Une citation le catapultera bientôt à l’avant-scène : « L’État n’a rien à faire dans les chambres à coucher de la nation. » C’était en décembre 1967, lors de la présentation du projet de loi qui décriminalisera notamment les actes homosexuels, raconte Paul Litt, historien de l’Université Carleton à Ottawa. « Tout à coup, les gens ont dit : “Wow ! Qui est cet homme ?” »

ANTICONFORMISTE 

« Trudeau avait son propre style vestimentaire, décrit Paul Litt. Il ne se baladait pas toujours en veston-cravate, il portait des sandales pour aller à la colline parlementaire ! Juste ça, c’était un symbole de la contre-culture, et il montrait qu’il ne faisait pas partie de l’establishment. » Quand le premier ministre Lester B. Pearson démissionne à la fin de 1967, personne encore ne voit Pierre Trudeau comme l’un de ses successeurs potentiels. Il se lance pourtant dans la course à la direction libérale en février. Signe des temps : il est appuyé par les Sinners, un groupe psychédélique québécois qui lui dédie une chanson, Go Go Trudeau

KID KODAK 

En avril 1968, Pierre Trudeau est finalement porté à la tête du Parti libéral. Il déclenche des élections, et c’est à ce moment que la ferveur populaire se déchaîne à son endroit. Pourchassé par des hordes de femmes, le célibataire le plus populaire du pays fait sensation partout où il passe. « Trudeau cultive son corps et se donne aisément en spectacle. Il pratique le ski et est considéré comme un bon nageur », décrit un reportage de Radio-Canada, qui pourrait presque s’appliquer aujourd’hui à son fils Justin. Lubor Zink, chroniqueur au défunt Toronto Telegram et anticommuniste notoire, décrit avec mépris le phénomène par une formule-choc qui allait passer à l’histoire : « Trudeaumania ».

ATTENTES ÉNORMES 

À 49 ans, Pierre Trudeau devient premier ministre et symbolise l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle génération. « La Trudeaumanie avait touché son but : celui de porter Trudeau au pouvoir, dit Paul Litt. Mais les attentes créées par le phénomène étaient hors de portée. » Ses déclarations fracassantes – depuis le « Pourquoi devrais-je vendre votre blé ? » aux fermiers de l’Ouest en 1969 jusqu’au « Just watch me » d’octobre 1970 – ne suscitent pas que de l’admiration… Mais si les journalistes se frottent parfois avec peine à ses répliques cinglantes, son style flamboyant fait toujours la joie des photographes. 

FIN DE MANIE 

L’homme a toujours ses inconditionnels, mais le charme n’opère plus comme avant, non seulement au Québec, mais aussi dans l’Ouest canadien. En mars 1971, lors d’une cérémonie discrète en Colombie-Britannique, Pierre Trudeau épouse Margaret Sinclair. Justin Trudeau naît neuf mois plus tard, le 25 décem-bre 1971. Pierre Trudeau sera réélu en 1972, puis en 1974 jusqu’en 1979, puis reviendra au pouvoir entre 1980 et 1984. 

— Avec la collaboration de Nicolas Bérubé, La Presse

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