Garde partagée

Exit le père de fin de semaine

À la rupture, les pères ont souvent perdu contact avec leurs enfants. Aujourd’hui, en médiation et devant les tribunaux, tout est fait pour que cela se produise le moins souvent possible, quitte à privilégier la mise en place de gardes partagées pas toujours évidentes. 

Le quart des enfants québécois qui voient leurs parents se séparer vivront en garde partagée. C’est plus que nulle part ailleurs au Canada et que la vaste majorité des pays occidentaux. Pour de plus en plus de pères québécois, la petite fin de semaine sur deux, ça ne suffit plus.

« On a voulu que les pères soient présents à la salle d’accouchement, il ne faut pas s’attendre à ce qu’ils disparaissent ensuite », note Sylvie Schirm, avocate en droit de la famille.

Selon Denyse Côté, professeure au département de travail social de l’Université du Québec en Outaouais, « la garde partagée est devenue la nouvelle norme sociale. Si on ne l’obtient pas, on a l’air d’un mauvais parent ».

Selon un sondage Léger réalisé en février, 82 % des répondants croient qu’à la séparation, les enfants de 6 à 12 ans devraient idéalement vivre en garde partagée. 

La solution de choix

De la même façon, en médiation comme devant les tribunaux, la garde partagée est maintenant considérée dans les faits comme la solution de choix à étudier prioritairement.

Divers facteurs qui ont longtemps milité en faveur de la garde exclusive à la mère – le fait qu’il s’agisse d’un très jeune enfant ou que la mère se soit occupée jusqu’ici de ses soins au quotidien – sont de moins en moins déterminants.

Pour Marie-Christine Kirouack, avocate en droit de la famille, « le pendule est vraiment reparti du côté des pères ».

À quoi attribuer ce phénomène ? À l’engagement grandissant des pères, aux revendications très fortes de lobbys comme Fathers for Justice ?

Il y a sans doute de tout cela, mais il y a surtout, à la base, ce constat qu’« à la séparation, le lien avec le père est le plus fragile », relève la psychologue Francine Cyr, aussi professeure de psychologie à l’Université de Montréal.

« À la séparation, note-t-elle, il arrive par exemple qu’un père refasse sa vie avec une nouvelle conjointe, qu’il ait d’autres enfants et qu’il ne voie plus beaucoup ceux du premier lit. Avec les mères, cela ne se voit à peu près jamais. »

En fait, un enfant sur cinq âgé de 6 ans dont les parents se sont séparés ne voit plus du tout son père, selon Diversité et mouvance familiales durant la petite enfance, une étude de l’Institut de la statistique du Québec réalisée en 2010.

Aussi l’intérêt de l’enfant est-il de plus en plus évalué, en médiation comme devant les tribunaux, à l’aune de cette nécessaire préservation du lien avec les deux parents.

« Même quand on n’accorde pas la garde partagée, on va désormais bien au-delà de l’ancienne formule “une semaine sur deux”, illustre Me Sylvie Schirm. Par exemple, on partage maintenant typiquement l’été 50-50, sans se demander si les parents travaillent ou pas. »

Michel Tétrault, avocat en droit de la famille, confirme la chose.

« Avant, le fait qu’un parent ne travaille pas ou ait un horaire très allégé par rapport à l’autre était un facteur déterminant. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. »

Un idéal, mais pas à tout prix

Cela dit, les avocats interviewés adhèrent à l’idéal de la préservation du lien avec les deux parents, mais pas dans n’importe quelles conditions.

« Pour qu’il y ait garde partagée, il faut que les parents soient capables de collaborer, croit pour sa part Me Tétrault. Les juges québécois l’établissent pourtant très souvent en sachant que ce n’est pas le cas, en présumant que, par amour pour leurs enfants, les parents y parviendront. Mais ça n’arrive pas toujours, loin de là. »

Mais surtout, le fait que des bébés soient au cœur de demandes de garde partagée cause un sérieux malaise aux avocats, comme en a rendu compte hier un article à ce sujet publié dans La Presse en ouverture de cette série.

Que fait-on de l’importance de créer un lien avec une figure parentale principale ? demande Michel Tétrault, avocat en droit de la famille. « Bizarrement, cette question du lien d’attachement est fondamentale dans la loi sur la Protection de la jeunesse, mais pas en Cour supérieure, dans les causes de garde partagée. »

« Quand un enfant a 8 mois ou 12 mois ou 16 mois, peut-on lui donner le temps de grandir ? demande Marie-Christine Kirouack. Faut-il nécessairement rendre une ordonnance pour toujours ? Pourquoi ne pas réévaluer tout cela quand l’enfant aura 2 ans, par exemple ? »

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