Technologie

Enfant surveillé, parent surveillant

Géolocaliser son enfant : pour le meilleur… ou pour le pire ? Des parents et des experts se prononcent.

« Tu es où ? Tu arrives quand ? » Ces questions tendent à disparaître des échanges entre parents et enfants. La géolocalisation permet de suivre à la trace, en temps réel, une personne en déplacement grâce à un dispositif technologique. Alors que de nombreux parents parlent d’une véritable bénédiction, plusieurs experts montrent du doigt les dérives possibles.

Mère de trois enfants, dont un adolescent et une jeune adulte, Catherine vante le côté pratique de la géolocalisation. « Ma fille fait du patin, raconte-t-elle. Je sais si elle a bien pris le bus qui l’amène à l’école après son entraînement. Si elle sort avec ses amis, je sais qu’elle est bien rendue là où elle m’a dit qu’elle allait. » Pour cette résidante de L’Assomption de 47 ans, géolocaliser ses enfants est « la meilleure chose que peut offrir la technologie ».

Lucie, maman d’un garçon de 14 ans, est du même avis : la géolocalisation lui permet d’être rassurée, mais pas question de surveiller ou de contrôler les allées et venues de son adolescent. « Cela ne remplace pas la confiance et la discussion », explique cette Montréalaise de 42 ans. Selon elle, son fils n’a pas trop argumenté lorsqu’elle a parlé de le géolocaliser : « Il faut dire que c’était une condition d’achat du téléphone », précise-t-elle.

Cela fait tiquer le juriste et professeur en droit de l’information à l’Université de Montréal Pierre Trudel. « L’article 43 de la Loi sur le cadre juridique des technologies de l’information stipule qu’il est interdit d’exiger que quelqu’un porte un tel dispositif, à moins que ce soit pour des raisons de protection de la santé ou des motifs de sécurité. Ou alors, si la personne donne son consentement. »

Selon lui, le consentement doit alors être « libre et éclairé ». « Mais s’il est une condition à l’obtention du téléphone, on peut se demander à quel point il est libre et éclairé », laisse-t-il tomber.

Être surveillé, c’est banal ?

Pour Anne-Sophie Letellier, doctorante en communications et codirectrice des communications chez Crypto Québec, le consentement n’est pas le seul point qui peut être problématique dans une relation d’enfant « surveillé » et de parent « surveillant » : le fait d’internaliser la surveillance la tracasse.

« Le danger, avec ce genre de technologie, c’est que l’enfant banalise le fait de se faire surveiller. Quelles sont les conséquences à long terme ? »

— Anne-Sophie Letellier

Mme Letellier se demande si, par exemple, un préadolescent ou un adolescent géolocalisé en permanence ne va pas modifier son comportement, voire le calquer sur ce qui est attendu de lui. « Est-ce que la géolocalisation est une forme d’oppression qui va empêcher l’enfant, par exemple, de s’affirmer davantage ou de faire certaines expériences ? »

Vie privée… ou pas

Anne-Sophie Letellier rappelle que la vie privée, c’est ce concept d’avoir un espace sécuritaire rien que pour soi, « appelé par les juges Warren et Brandeis en 1890 the right to be let alone », souligne-t-elle. La géolocalisation vient-elle étouffer la vie privée ? « C’est comme mettre une laisse autour du cou de son ado, indique Nancy Doyon, éducatrice spécialisée et coach familiale. Est-ce que ça l’empêche de s’épanouir ? »

La dérive qui guette les parents, c’est le surcontrôle, croit-elle. « Et il ne faut pas oublier que la géolocalisation, ce n’est pas suffisant pour savoir ce qui se passe ! Rien ne remplace une conversation pour savoir ce que vit notre enfant », note celle qui dirige depuis 10 ans le réseau SOS Nancy. Elle rappelle que les adolescents ont besoin de liberté, de se différencier et de développer leur jugement.

Sans être ni pour ni contre, Anne-Sophie Letellier rappelle que la géolocalisation ne devrait jamais se substituer à l’autorité parentale. « Il faut réfléchir aux impacts et se demander : est-ce la solution la plus efficace ? », déclare-t-elle.

Des données intéressantes

L’une des conséquences possibles, c’est la cueillette d’informations liées à notre enfant… En effet, plusieurs applications sont gratuites – dès lors, les entreprises derrière peuvent amasser des données. « Il faut prendre le temps de lire les contrats et tous les termes d’utilisation », recommande Jean-Michel Vanasse, journaliste spécialisé dans les nouvelles technologies et animateur de Planète Techno sur Explora.

Père de deux jeunes enfants, M. Vanasse avoue ne pas être porté sur la chose… pas pour le moment du moins. « Ça ne m’attire pas. Je pense que la confiance parent-enfant se construit peu à peu, confie-t-il. Et puis, nos enfants sont des pros en informatique. Il ne faut pas oublier que c’est très facile pour eux de détourner la géolocalisation en désactivant la fonction, en éteignant leur téléphone ou en le laissant ailleurs ! »

Quoi de pire que de surveiller son enfant ? Avoir l’impression de le surveiller…

Comment géolocaliser son enfant

(Suggestions de Jean-Michel Vanasse, de JMV Médias)

iPhone

L’application Find my friend ou Mes amis (gratuite) est intégrée à tous les téléphones de type iPhone.

Application

Plusieurs existent sur le marché, telles que Life 360, GeoZilla et Familonet. La plupart sont gratuites, mais on peut ajouter un abonnement mensuel pour avoir accès à plus d’options (historique, alertes, etc.).

Dispositif 

Il existe des montres et des colliers munis d’une puce GPS, tels que FamiliSécur et Duomo (toutes deux sont d’entreprises québécoises) et Lil Tracker. Il faut compter au moins 100 $ pour le dispositif, et cela ne comprend pas le forfait pour les données. Les dispositifs sont surtout utilisés chez les 7 à 11 ans.

Taxi 

Certains parents se servent de l’application d’Uber, par exemple, pour suivre les déplacements de leurs adolescents une fois qu’ils sont montés à bord.

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