Portefeuille Endettement

Une préoccupation constante

Emmy Grand-Maison gère une commune. C’est ainsi que la jeune femme de 25 ans décrit son grand appartement du Plateau Mont-Royal, où elle sous-loue des chambres à trois colocataires. « J’ai trouvé cette solution pour habiter un quartier sympathique sans me ruiner », explique-t-elle.

Même si cette diplômée en communication occupe un emploi bien rémunéré, son budget est miné par ses dettes : elles atteignaient 28 000 $, dont 3000 $ sur une carte de crédit, lorsqu’elle a terminé son baccalauréat, il y a trois ans. Emmy a pourtant travaillé pendant toutes ses études. « J’en ai pour 15 ans à rembourser mon prêt étudiant, dit-elle, déconfite. Les questions d’argent sont pour moi une préoccupation constante. »

Bien des jeunes de sa génération vivent le même découragement : selon un sondage réalisé pour La Presse par la firme CROP, 47 % des 20 à 35 ans s’inquiètent de leur situation financière, notamment de leur niveau élevé d’endettement. La dette moyenne – sans compter l’hypothèque – atteint 9574 $ dans ce groupe d’âge. Pour ceux qui ont une hypothèque, elle s’élève à 166 400 $.

Les trois quarts de la génération Y sont endettés, et le prêt étudiant pèse lourd dans la balance, avec un solde moyen qui s’élève à 8479 $. Les jeunes adultes sont aussi endettés de 8983 $ pour un prêt auto, doivent 6433 $ à des parents ou des amis, 5232 $ sur leur marge de crédit et 1528 $ sur leur carte de crédit, en moyenne.

Insouciants ou victimes ?

Bien des jeunes s’endettent parce qu’ils vivent au-dessus de leurs moyens : 32 % des répondants indiquent que leurs dépenses excèdent leurs revenus presque chaque mois. Mais subissent-ils les conséquences de leur propre insouciance ou des mauvaises conditions économiques et de la hausse du coût de la vie ?

« Je vais au cégep à temps plein à Montréal, en plus d’occuper deux emplois à temps partiel, et j’habite chez ma mère à Laval, alors j’ai absolument besoin d’une voiture », explique Julien Haney, 21 ans, pour justifier sa dette de 10 000 $ sur une marge de crédit et le solde impayé de 2500 $ sur sa carte de crédit. « J’espère pouvoir en rembourser une bonne partie en travaillant de 40 à 60 heures par semaine pendant l’été, parce que j’angoisse chaque fois que j’ai des factures à payer. »

Les associations de consommateurs dénoncent depuis longtemps l’accès trop facile au crédit, notamment aux cartes de crédit, qui exigent des taux d’intérêt élevés sur les soldes impayés – généralement autour de 18 %, et jusqu’à 28 % pour les cartes offertes par les magasins. D’ailleurs, 53 % des répondants au sondage avouent que d’avoir une carte de crédit dans leur portefeuille les incite à dépenser plus que leurs revenus le permettraient, et 19 % disent garder un solde impayé sur leur compte pendant au moins un an. Rappelons que pour un solde impayé de 1000 $ au taux de 18 %, un consommateur paiera 180 $ en intérêts en un an.

Une vaste recherche dévoilée il y a quelques mois par l’Université d’État de l’Ohio montre que les Américains de 29 à 33 ans, en plus de contracter d’importantes dettes sur leurs cartes de crédit, les remboursent plus lentement que les générations précédentes (24 % moins vite que leurs parents, 77 % moins vite que leurs grands-parents). Constat alarmant des chercheuses : les jeunes adultes qui ont un solde impayé sur leur carte de crédit traîneront des dettes jusqu’à leur mort !

Protéger les jeunes des dangers du crédit

« Les jeunes en difficulté financière qui se retrouvent dans mon bureau ont souvent un problème de surconsommation, et ce sont surtout des dettes sur des cartes de crédit qui les entraînent dans la spirale de l’endettement », confirme Josée Pomerleau, de Lemieux Pomerleau, syndic de faillite.

Lors des consultations destinées à moderniser la Loi sur la protection du consommateur, plusieurs groupes ont demandé que les prêteurs soient obligés de vérifier la capacité du consommateur de rembourser le crédit demandé, qu’il leur soit interdit de solliciter les jeunes dans les lieux qu’ils fréquentent et que les mineurs aient besoin de l’autorisation d’un parent pour leur adhésion. Les émetteurs de cartes de crédit ont l’habitude de s’installer dans les halls des universités pour recruter de nouveaux clients, mais certaines institutions interdisent maintenant cette pratique. Le gouvernement du Parti québécois a promis qu’il présenterait sous peu des mesures pour contrôler le surendettement des consommateurs.

« Aujourd’hui, le crédit est tellement répandu qu’on a l’impression que ça fait partie de la vie, mais les jeunes ne sont pas outillés pour comprendre tous les nouveaux outils qui sont offerts sur le marché », constate Virginie Rainville, conseillère au Centre d’intervention budgétaire et sociale (CIBES) de la Mauricie.

La faute à l’économie ?

Les jeunes sont aussi victimes de la morosité du marché de l’emploi. Les étudiants ont plus de difficulté à trouver un travail d’été ou à temps partiel, et les emplois qu’ils trouvent sont moins payants. Même chose pour les nouveaux diplômés : en entrant sur le marché du travail, leur salaire sera 17 % plus faible que celui de la cohorte ayant terminé ses études en 2010, souligne l’Institut Vanier de la famille, dans son dernier rapport sur les finances des ménages canadiens. « De plus en plus de jeunes dans la vingtaine ont des maîtrises ou plusieurs diplômes, ils se sont endettés pour étudier, mais leur investissement ne rapporte pas autant qu’ils l’auraient cru parce que les emplois sont plus rares, moins payants et plus précaires, », explique Nora Spinks, directrice de l’institut.

« C’est inévitable que les jeunes ménages aient plus de dettes », renchérit Marie J. Lachance, professeure au département des sciences de la consommation de l’Université Laval. « C’est à cette période de leur vie qu’ils ont des enfants et veulent acheter une maison, mais souvent, s’ils ont fait des études, ils remboursent encore leur prêt étudiant. Ils en ont lourd sur les épaules. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.