Élections Québec 2014

Des affinités et des frictions

QUÉBEC

 — René Lévesque détestait porter le smoking. Mais chaque année, il mettait de côté ses wallabies et s’habillait en pingouin pour se rendre au concert classique que Pierre Péladeau organisait dans son domaine, à Sainte-Adèle.

Il était en dette. Durant la traversée du désert, au début des années 70, Péladeau avait embauché Lévesque comme chroniqueur au Journal de Montréal. Mais au-delà du coup de pouce, Péladeau était le seul véritable entrepreneur québécois clairement engagé en faveur de la souveraineté.

Aujourd’hui, c’est son fils qui vient en aide à Pauline Marois. La décision de Pierre Karl Péladeau de faire le saut en politique active en surprendra plus d’un. Son choix d’appuyer le projet souverainiste et le Parti québécois (PQ), lui, n’étonnera personne.

L’annonce tombe au lendemain du Conseil national du PQ – les délégués seront bien loin des micros et des caméras quand on annoncera la recrue, potentiellement controversée. Même après la mort de Pierre Péladeau, les gouvernements péquistes ont toujours été proches de celui qui a hérité de son empire de presse, Pierre Karl.

En 2000, quand le milliardaire Claude Chagnon décide de vendre Vidéotron, le gouvernement du PQ répond présent. À l’époque, Bernard Landry est ministre de l’Économie. La transaction, dans laquelle la Caisse de dépôt et placement (CDP) injecte 3 milliards, est initiée par Michel Nadeau, alors vice-président de la CDP. En toute équité, il faut rappeler que ce joyau risquait de glisser vers le Canada anglais, avec Rogers. Dans cette transaction, Québecor a gagné le gros lot ; Vidéotron est maintenant, et de loin, l’élément le plus lucratif de l’empire.

Bernard Landry, quant à lui, deviendra, bien plus tard, chroniqueur au Journal de Montréal – un poste qu’il a abandonné quand le journal était en lock-out. Lise Payette a aussi quitté le Journal de Montréal, ne pouvant cautionner l’intransigeance de l’employeur Péladeau. Sa fille Dominique est aujourd’hui candidate pour le PQ. Dans son rapport sur les médias, en janvier 2011, elle recommandait de priver de toute publicité gouvernementale les médias qui, comme ceux de Québecor, n’adhéraient pas au Conseil de presse, un tribunal d’honneur qui encadre l’activité des médias.

Conflits de travail et boycotts

Durant les longs lock-out au Journal de Québec et au Journal de Montréal, le PQ, dans l’opposition, avait décidé de boycotter toute entrevue avec les briseurs de grève des deux journaux. Agnès Maltais avait parlé d’abus de confiance, de « fausse représentation » ; une de ses entrevues, accordée à Canoe, le site internet, s’était retrouvée imprimée dans le Journal de Québec, alors en lock-out.

François Rebello, alors critique du PQ en matière de travail, était catégorique : ces entrevues « équivalaient à traverser une ligne de piquetage ».

À l’époque, le PQ réclamait qu’on modernise le Code du travail pour tenir compte des progrès technologiques – la désuétude de la loi avait permis à Péladeau de publier ses journaux ailleurs.

Pascal Bérubé, alors simple député, écumait de rage parce qu’un média de Péladeau avait congédié, à son avis injustement, un membre de sa famille.

« Moins justifiables »

Au début de 2010, pendant un forum économique lancé par le gouvernement Charest, Pierre Karl Péladeau a publié une lettre ouverte percutante dans ses journaux. Les syndicats, selon lui, rendent « difficile l’émergence de jeunes entrepreneurs », et leurs avantages « nombreux sont de moins en moins justifiables ». Mme Marois a commenté du bout des lèvres, soulignant que les relations entre les employeurs et les syndicats s’étaient assainies depuis 30 ans. Puis, toisant le journaliste de La Presse, elle avait prévenu : « Ne me mettez pas en contradiction avec M. Péladeau ! »

À l’époque de ces conflits difficiles dans les deux quotidiens, Pierre Duchesne, journaliste de Radio-Canada devenu ministre depuis, avait fait des pieds et des mains pour que la Tribune de la presse n’accorde pas d’accréditation aux représentants du Journal de Québec et du Journal de Montréal.

Alexis Deschênes, jeune journaliste et passionné de TVA, avait pris fait et cause pour les grévistes dans des réunions fébriles des membres de la Tribune. Il quittera bien vite la famille Québecor. Abandonnant le journalisme pour étudier le droit, il racontera à qui voudrait l’entendre qu’il en avait soupé de se faire dicter ses reportages par la haute direction. Péladeau a toujours soutenu maintenir une totale indépendance de ses salles de presse ; ceux qui ont pu le voir en action sont stupéfaits de l’entendre : lecteur boulimique de journaux, des siens comme des concurrents, il n’hésite pas à passer des coups de fil à ses cadres, ou même à certains journalistes, pour leur demander de fouiller un aspect en particulier.

Crise au PQ

La proximité de Pierre Karl Péladeau avec le PQ est réapparue en 2011, quand le gouvernement Charest a décidé de mettre 200 millions dans la construction du nouvel amphithéâtre de Québec – un équipement qui devait servir à attirer un club de la Ligue nationale de hockey à Québec. Le PQ de Pauline Marois a cautionné la décision, ce qui a déclenché une crise sans précédent au PQ – trois députés ont claqué la porte.

Le projet du gouvernement, qui aurait normalement été critiqué par l’opposition, avait des défenseurs chez les élus. Stéphane Bédard, député de Chicoutimi, avait assuré à Mme Marois que tout baignait dans l’huile. Son frère, Me Éric Bédard, de la firme Fasken Martineau, est depuis longtemps un proche du couple Snyder-Péladeau. Martin Tremblay, aujourd’hui vice-président chez Québecor, était un employé du bureau de circonscription de Stéphane Bédard.

Il sera intéressant de voir comment d’autres gros canons du PQ – les prétendants au trône Bernard Drainville et Jean-François Lisée, notamment – recevront la nouvelle. Bien avant d’être élu, dans son blogue, Lisée avait été critique à l’endroit de la position du patron de presse en conflit avec ses journalistes.

Aux côtés d’un charismatique Pierre Karl Péladeau, Pauline Marois avait parfois l’air perplexe, hier matin. Le nouveau candidat crevait l’écran et promettait, le poing en l’air, que le Québec deviendrait un pays…

Moins pressée, Mme Marois risque de se trouver dans son chemin.

Il faudra attendre le moment où Jean-Marc Léger commentera son prochain sondage électoral. Il était membre du conseil d’administration du Groupe TVA quand Péladeau le présidait. Décidément, le Québec est bien petit.

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