Chronique

Question oiseuse :  qui fête quoi ?

Petit aller-retour fort agréable à Sutton, vendredi dernier, dans une auberge à flanc de montagne où les dirigeants de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) m’avaient invité à faire un survol de l’activité politique québécoise et, un peu aussi, canadienne.

J’aime ces rencontres. Parler politique devant un groupe, c’est avoir la chance d’observer en direct la réaction des lecteurs à ses théories, à ses analyses. Selon les sujets et les commentaires, certains opinent du bonnet, d’autres froncent les sourcils ou hochent carrément la tête en signe de désapprobation. Il y en a qui rigolent, qui, visiblement, vous trouvent trop dur ou un brin cabotin. Il y en a même parfois qui cognent des clous (oui, oui, jeune homme blond dans le fond de la salle, droit devant moi, c’est de vous que je parle !).

Ce que j’aime par-dessus tout de ces rencontres, ce sont les échanges avec les participants après ma présentation, que ce soit lors de la période des questions ou de façon informelle, une fois le micro éteint.

Vendredi, un jeune homme, souverainiste convaincu et optimiste, est venu me dire qu’il ne partageait pas mon pronostic (qui se situe quelque part entre improbable et impossible) sur la faisabilité de la souveraineté du Québec. « On ne sait jamais, m’a-t-il dit, un élément imprévu ou circonstanciel, comme Meech, pourrait agir comme déclencheur et relancer la ferveur souverainiste. »

« Vrai, on ne peut prédire l’avenir, mais en regardant en arrière, on constate que l’adoption par le gouvernement Chrétien de la loi sur la “clarté” aurait pu relancer l’option, et c’est exactement le contraire qui s’est passé. Idem pour le scandale des commandites. Et puis, ai-je ajouté, huit ans de régime Harper, qui dirige un gouvernement de droite avec une représentation québécoise famélique, n’ont pas fait remonter la souveraineté non plus, au contraire. »

Le jeune homme voulait bien me concéder les deux premiers points, mais pas le troisième, à propos de l’effet Harper nul sur le mouvement souverainiste. En gros, m’a-t-il dit : Harper et son Canada, on s’en fout ! Harper, selon lui, n’aura fait que renforcer le nationalisme au Québec, qui continue son chemin en parallèle.

Si mon jeune interlocuteur a raison, cela ne me semble pas une très bonne nouvelle (déjà qu’elles sont rares ces années-ci) pour le mouvement souverainiste. Nous serions donc dans une ère de nationalisme indifférent (ou d’indifférence nationaliste, je laisse les linguistes trancher). Il est clair, depuis quelques années, que les Québécois se préoccupent peu du reste du Canada, qui le leur rend bien d’ailleurs, sauf lorsque la « menace séparatiste » resurgit. Après des années d’indifférence, les médias du ROC ont eu soudain un regain d’intérêt spectaculaire pour le Québec lorsque Pierre Karl Péladeau est devenu candidat péquiste. Autrement, on s’ignore mutuellement dans une indifférence convenue.

Depuis des années, le premier ministre Harper vient toujours faire une saucette au Québec le 24 juin pour rappeler que son gouvernement a reconnu la nation québécoise. J’ai surtout l’impression que cela nous rappelle qu’on ne le voit pas très souvent et que nos rapports sont pour ainsi dire inexistants le reste de l’année.

Cette conversation à Sutton m’est revenue en tête ces derniers jours en suivant l’inévitable débat sur le sens politique de la Fête nationale et les tout aussi prévisibles tentatives de récupération.

Que fête-t-on donc aujourd’hui ?

La Presse avait demandé à CROP de sonder les Québécois sur cette question il y a une dizaine d’années. Pour une majorité d’entre eux (plus de 70 %), cette fête n’avait aucune connotation politique (faudrait voir aujourd’hui, avec un nouveau coup de sonde, mais je ne vois pas pourquoi la perception des Québécois aurait changé de façon significative). Pour près d’un Québécois sur quatre, le 24 juin était d’abord et avant tout un congé, le premier long week-end de l’été ! C’est rigoureusement exact, la Saint-Jean-Baptiste – oups ! pardon, la Fête nationale – marque le début officiel de l’été par un des plus gros partys de l’année. Et puis, l’hiver est assez long au Québec, on a un droit constitutionnel de chômer une journée pour célébrer l’arrivée des beaux jours.

Mais réduire l’affaire à une « 24 » de Labatt bleue et un gros feu de joie, c’est un peu court. On peut toutefois fort bien comprendre, surtout cette année, que tant de Québécois, à commencer par les artistes qui animent le party, refusent d’y coller une couleur politique.

Les débats sur « qui devrait ou non fêter cette journée », sur « qui devrait chanter ou non » sur les innombrables scènes partout au Québec sont non seulement ennuyants, mais contre-productifs à un moment où le Québec a bien besoin de se raccommoder l’âme.

Le 24 juin sert justement à ça : gros party de famille élargie. Et la politique est généralement à proscrire lors des gros partys de famille.

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