Opinions

Des préjugés coûteux

Dans un sondage commandé par La Presse, une majorité de Québécois admettait faire de la discrimination envers ceux qui sont différents d’eux. C’est dans la nature humaine, direz-vous. Certes, mais cette discrimination a un coût.

Vous êtes furieux : votre restaurant préféré vient d’embaucher une serveuse portant le voile. C’est décidé, vous n’y remettrez plus les pieds… quitte à payer plus cher pour manger québécois. C’est votre droit !

Sur le marché libre, chacun de nous peut assouvir ses préjugés. Les entrepreneurs sont libres d’offrir et les consommateurs sont libres d’acheter. Si le produit offert ne vous satisfait pas, vous pouvez voter avec vos jambes. Tant que vous serez disposé à payer, il y aura toujours un entrepreneur pour satisfaire vos préférences.

Être libre, c’est assumer le coût de ses préjugés. Par exemple, la liberté de ne pas aimer les pratiques culturelles ou religieuses des immigrants n’est pas gratuite. Les individus et les entrepreneurs qui abusent de la discrimination envers les nouveaux arrivants prennent le risque de se priver d’amitiés, d’une clientèle supplémentaire ou d’une main-d’œuvre qualifiée. C’est pourquoi sur un marché libre, même si chacun de nous a la liberté de discriminer à sa guise, les abus discriminatoires sont peu fréquents.

Parce que discriminer est coûteux, tant pour les individus que pour les entreprises, la plupart des demandes d’accommodements se résolvent d’elles-mêmes. Parce que discriminer n’est pas gratuit, la majorité s’ajustera aux différences des autres plutôt que d’assumer le coût de ses préjugés.

Malheureusement, les choses se gâtent quand, pour des raisons électoralistes, les politiciens cherchent à imposer des règles et des interdits sociaux qui permettent à certains groupes d’individus de transférer le coût de leurs préjugés aux autres.

Brader les libertés religieuses des immigrants pour subventionner les préjugés d’un électorat n’est sûrement pas socialement désirable. Comme on a pu le voir à la suite du dépôt de sa charte des valeurs, en privilégiant une frange de l’électorat au détriment d’une autre, le gouvernement du Québec n’a réussi qu’à attiser les rivalités entre citoyens qui, jusqu’ici, s’arrangeaient très bien entre eux.

Il est d’ailleurs paradoxal qu’un État soi-disant progressiste s’arroge le droit de dicter sa morale identitaire à ceux-là mêmes qui sont chargés de livrer des services qui ont été étatisés sous le prétexte d’une égalité pour tous.

Contrairement au marché concurrentiel, qui discrimine pour satisfaire les préférences de tout un chacun, les monopoles publics ne peuvent discriminer sans faire des gagnants et des perdants. Or, si l’État tenait vraiment à s’ajuster aux préférences de tous les citoyens du Québec, il n’aurait qu’à privatiser les services qu’il a jadis monopolisés au nom du bien public. Une multitude d’entrepreneurs en concurrence sauront accommoder le plus grand nombre, et ce, sans que les minorités aient à supporter le coût des préjugés de la majorité.

Le rôle de notre gouvernement n’est pas d’attiser les rivalités ou d’instaurer une course aux privilèges. Aussi, la seule voie acceptable qui lui reste pour minimiser les tensions sociales engendrées par le dépôt de sa charte, c’est de renoncer à nationaliser les sentiments et à subventionner les préjugés. Sinon, on risque le conflit social permanent !

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