La Romaine

un chantier plus grand que nature

Au-delà du 51e parallèle, en plein cœur d’un territoire sauvage et nordique, se dresse le mégacomplexe hydroélectrique de la Romaine, sur la Côte-Nord. Le grand ouvrage d’Hydro-Québec, estimé à 6,5 milliards, aura la capacité d’alimenter en énergie 470 000 foyers par an. À l’approche de la fin d’une décennie de travaux, La Presse a eu un accès illimité au chantier fourmillant pendant 24 heures.

Un dossier de Fanny Lévesque et d’Olivier Jean

La Romaine

La laborieuse Romaine-4

Dans un chantier plus grand que nature, à quelque 150 km au nord de la route 138, à la hauteur de Havre-Saint-Pierre sur la Côte-Nord, la machinerie lourde s’active à la Romaine-4. Des quatre centrales hydroélectriques du complexe de la Romaine, c’est la toute dernière à achever qui donne le plus de fil à retordre à Hydro-Québec.

« C’est le pire roc que j’ai eu à travailler en 30 ans. » Le surintendant général de Pomerleau, Joël Drouin, est catégorique : le défi à la Romaine-4 est immense. Il est environ 19 h et ses hommes amorcent leur quart de travail. Ils seront à l’œuvre toute la nuit avant que l’équipe de jour ne les relaye. Leur mission : excaver le roc où sera construite la centrale.

Depuis 2009, Hydro-Québec a mené à bonne fin les ouvrages de la Romaine-1, 2 et 3. La centrale de la Romaine-3 est entrée en service l’automne dernier. Mais, plus au nord que toutes les autres, la Romaine-4 est plus complexe que prévu. L’instabilité du roc a forcé l’arrêt des travaux plus d’une fois depuis 2016, pour une période totalisant 10 mois.

« Des excavations de cette ampleur-là, il n’y en a pas beaucoup au Québec. Ici, on a des parois de 40, 50 m de haut et même à la centrale, ça va être un petit peu plus. » — Danny Chamberland géologue d’Hydro-Québec

La mauvaise qualité du roc a d’ailleurs forcé la société d’État à revoir l’emplacement initial de la centrale de la Romaine-4.

Une décision inévitable qui a provoqué la suspension du chantier au printemps 2017. Quelque 150 000 m3 supplémentaires de roc ont dû être retirés en raison du changement de plans. « À chaque pas qu’on franchit, on regarde la qualité du roc et au besoin, on en enlève plus », explique le chef de chantier de la Romaine-4, Stéphane Jean.

Sombre début

Le chantier de la Romaine-4 a également connu un sombre départ en décembre 2016 avec la mort d’un conducteur de machinerie lourde après qu’une paroi rocheuse se fut effondrée sur la pelle hydraulique que conduisait l’homme. Luc Arpin, 51 ans, a été prisonnier des décombres pendant deux semaines tellement il était périlleux de récupérer sa dépouille.

Sa mort a porté à quatre le nombre de travailleurs ayant perdu la vie depuis le lancement du projet de la Romaine en 2009. C’est le pire bilan qu’a connu la société d’État sur ses chantiers depuis les 20 dernières années. S’est ensuivi une vaste réflexion sur les pratiques en matière de santé et de sécurité au travail chez Hydro-Québec (voir plus bas).

« [La complexité du roc], on l’avait réalisée [avant la mort de M. Arpin]. Cette paroi-là qui s’est effondrée, ç’a été une preuve de plus, assure M. Jean. Avec aussi [le changement de plans pour la centrale], ce sont des évènements qui se sont enchaînés et qui nous font réaliser tous les jours que le roc à la Romaine-4, c’est un défi différent. »

Surveillance depuis la Californie

Dans l’antre du chantier en activité, les camions de 50 tonnes semblent minuscules quand on les observe du haut d’où sera construit le barrage. C’est l’entrepreneur EBC qui exécute les travaux à cette hauteur pour excaver l’évacuateur de crue et la prise d’eau, entre autres. Là aussi, la géologie apporte son lot de défis, ont rapporté les travailleurs.

D’ailleurs, de l’autre côté de la rivière Romaine, en face du secteur des travaux d’excavation, un « géoradar » surveille en temps réel la stabilité du roc et des parois rocheuses. C’est la première fois que la société d’État utilise cette technologie qui permet de « scanner toutes les minutes, toutes les secondes » le mur de roches à distance.

« Quand on fait une cible avec un arpenteur, c’est ponctuel, tandis que le géoradar peut observer toutes les parois excavées. C’est un peu comme des cibles à l’infini sur le mur », vulgarise le géologue, Danny Chamberland. C’est la firme IDS installée en Californie qui analyse les données transmises en continu à Hydro-Québec.

Horizon 2020

La réalisation de la Romaine-4 doit coûter à elle seule 2 milliards sur un projet global estimé à 6,5 milliards. Malgré les défis et les arrêts multiples causés par l’instabilité du roc, Hydro-Québec maintient l’horizon de 2020 pour livrer la dernière centrale, dont la puissance installée atteindra 245 MW.

« Virage » en santé et sécurité

Hydro-Québec a entrepris une vaste révision de ses pratiques en matière de santé et sécurité au travail après la mort d’un quatrième homme au chantier la Romaine, en décembre 2016. La firme externe ERM a mené un profond examen pour notamment conclure qu’il existait chez Hydro-Québec un « sentiment de fausse sécurité. » « Le rapport d’ERM nous a fait réaliser que notre tolérance au risque était trop élevée », affirme le chef de chantier, Stéphane Jean. Les effets du « virage » entrepris ensuite par la société d’État sont d’ailleurs bien palpables sur le chantier. Pas un visiteur n’y entre sans avoir suivi une courte formation en santé et sécurité. Une série de nouvelles mesures ont aussi été mises en place. Chaque quart de travail débute par une rencontre « axée sur la santé et sécurité ». Les employés doivent remplir un cahier « d’analyse sécuritaire de tâches ». Quelque 80 « agents de changement » en santé et sécurité ont aussi été formés parmi les travailleurs pour intervenir auprès des leurs.

La Romaine en chiffres

470 000

Nombre de maisons que le complexe de la Romaine peut alimenter pendant un an. Sa puissance atteint 1550 MW (mégawatts) pour une production annuelle moyenne de 8 TWh (térawatts/heure).

7,8 milliards

La construction du mégacomplexe hydroélectrique est estimée à 6,5 milliards et le coût de la ligne de transport pour le raccordement est évalué à 1,3 milliard.

1000

Les travaux du chantier de la Romaine auront permis de créer en moyenne 1000 emplois par année au Québec, occupés à 45 % par des Nord-Côtiers. Les autochtones représentent environ 10 % de la main-d’œuvre au chantier.

4

Le complexe hydroélectrique de la Romaine est composé de quatre centrales, construites sur une distance d’environ 150 km. La Romaine-2 possède la plus grande puissance installée avec 640 MW.

4

Hydro-Québec a conclu depuis 2008, quatre « ententes de partenariat » avec cinq communautés innues de la Côte-Nord dans le cadre de la réalisation de la Romaine totalisant des dizaines de millions.

Le chantier en quelques dates

Mars 2009 Le BAPE donne son feu vert.

Mai 2009 L’ex-premier ministre Jean Charest donne le coup d’envoi.

Février 2010 Un premier homme perd la vie.

Mars 2010 Le chantier est paralysé par des travailleurs de la Côte-Nord qui réclament plus d’embauches régionales, un débat qui fera surface à plusieurs reprises.

Décembre 2014 Mise en service de la Romaine-2.

Novembre 2015 Début des activités de la Romaine-1.

Mars 2015 Mort d’un deuxième travailleur.

Août 2016 Mort d’un troisième travailleur.

Décembre 2016 Mort d’un quatrième homme.

Janvier 2017 Hydro-Québec mandate la firme ERM pour revoir l’ensemble de ses pratiques.

Octobre 2017 Inauguration de la Romaine-3.

2020 Fin des travaux et mise en service de la Romaine-4.

La Romaine

La Romaine-3 mise en service

La troisième centrale hydroélectrique du complexe de la Romaine a été mise en service l’automne dernier. Construite dans la montagne, la centrale compte deux groupes de turbines-alternateurs, offrant une puissance de 414 MW, ce qui en fait la deuxième du complexe pour la puissance, après la Romaine-2. Le premier ministre Philippe Couillard s’est rendu au chantier en octobre pour l’inauguration.

La Romaine

Les visages de la Romaine

Plus d’un millier de travailleurs des quatre coins de la province seront à l’œuvre pendant la période estivale au chantier hydroélectrique de la Romaine, sur la Côte-Nord. Des hommes et des femmes de tout horizon, venus exercer leur profession à des centaines de kilomètres de la maison. Portraits.

Gildas Arsenault 38 ans

Chef maintenance, Hydro-Québec

À la Romaine depuis 2016

Originaire de Havre-Saint-Pierre

Gildas Arsenault a quitté Rio Tinto Fer et Titane, une entreprise qui exploite une mine d’ilménite non loin de Havre-Saint-Pierre, pour rejoindre l’équipe d’Hydro-Québec. « C’était quelque chose qui m’intriguait énormément. La première journée que j’ai faite, j’étais comme un petit garçon dans une confiserie. […] Je n’ai jamais connu ça. L’ampleur des travaux ici, c’est presque inimaginable. C’est difficile à décrire, il faut le voir. » Chef maintenance à la centrale Romaine-3, M. Arsenault est l’un de ceux qui resteront des employés de la société d’État après la vie du chantier de construction, pour Hydro-Québec Production qui assurera l’exploitation et l’entretien du complexe hydroélectrique.

Alain Larouche 59 ans

Conducteur de machinerie lourde, Pomerleau

Originaire de Cacouna

À la Romaine depuis 2011

Alain Larouche a vu plus d’un chantier au cours de sa carrière. Celui de la Romaine sera son dernier. « Ici, c’est bien, on est correct. J’en ai vu beaucoup. Il y a beaucoup d’encadrement ici, plus de restrictions », explique le conducteur de machinerie lourde, en faisant allusion au virage en santé et sécurité entrepris par Hydro-Québec, à la suite de la mort d’un quatrième homme en décembre 2016. « Je n’avais pas d’inquiétude au départ, mais oui, la communication s’est améliorée, entre autres », dit-il. À la fin de son contrat, M. Larouche prendra sa retraite pour être auprès de ses enfants et de ses petits-enfants.

Daniel Flamand 55 ans

Inspecteur de nuit, Hydro-Québec

Originaire du Saguenay

À la Romaine depuis 2011

Daniel Flamand parcourt le chantier de la Romaine depuis 2011. Son travail consiste à faire l’inspection, scruter les plans et devis et s’assurer que les entrepreneurs respectent les échéanciers sur le terrain, entre autres. « On devient assez à l’aise, je pense que le plus difficile, c’est peut-être la façon d’intervenir », indique-t-il. « Ici, c’est vraiment la géologie, c’est montagneux. C’est complètement différent de ce qu’on a pu voir à la Baie-James », raconte celui qui a plus d’un chantier à son actif. Ce qu’il aime de la vie de chantier, c’est d’ailleurs l’horaire de travail, loin du 8 à 5, alors qu’il peut profiter d’une semaine de congé quand il « redescend au sud ».

Natasha Sicotte 35 ans

Infirmière, Hydro-Québec

Originaire de la banlieue sud de Montréal

À la Romaine depuis 2014

Natasha Sicotte exerce son métier à l’infirmerie près de la Romaine-4, de jour comme de nuit. Ils sont quatre infirmiers au chantier. « Ce que j’aime, c’est de jouer un rôle élargi. Il faut avoir beaucoup d’autonomie, de débrouillardise et être capable de fonctionner sous la pression », explique-t-elle. Contusion et coupure… éclosion de gastro et poussière dans l’œil font partie de son quotidien. S’il y a une urgence, c’est aussi elle qui prend le volant de l’ambulance pour se rendre sur le chantier. « Travailler ici dans le bois, c’est vraiment super. J’aime aussi le côté communautaire d’un chantier de construction. On devient comme une grande famille. »

Marie-Léa Petiquay 26 ans

Chef pâtissière, Sodexo

Originaire de Wemotaci (nation atikamekw)

À la Romaine depuis 2015

Marie-Léa Petiquay commence son quart à 5 h du matin et concocte des desserts toute la journée pour les travailleurs. « J’ai fait mon cours de cuisine et de pâtisserie en plus de faire un stage en France. C’est ma belle-mère, qui travaille ici, qui m’a parlé de la possibilité de travailler sur le chantier », affirme la jeune Atikamekw. Elle peut laisser libre cours à son imagination pour créer toutes sortes de pâtisseries. Mais, les préférés demeurent le gâteau au chocolat et le pouding chômeur. « J’aime ça ici, on travaille tous les jours, c’est épuisant parce qu’on fait 28 jours de suite, mais on se fait une famille. »

Philippe Boudreau 51 ans

Chauffeur de camion lourd, Pomerleau

Originaire de Havre-Saint-Pierre

À la Romaine depuis 2010

Philippe Boudreau a laissé la pêche au crabe pour devenir chauffeur de camion lourd. La Romaine est le premier chantier où il fait rouler ces véhicules gigantesques. Ce qu’il aime le plus de son métier ? « Chauffer mon camion », répond-il, sans hésitation. « Pour l’avenir, j’aimerais bien aller travailler sur d’autres chantiers, pour voir autre chose », dit-il. « Ça va bien ici. Ce que je déplore, c’est quand même la fin du placement syndical. Je pense qu’avec le placement, les gens de la place étaient plus priorisés, mais cette année, c’est bien », raconte l’homme originaire de la Côte-Nord, qui estime qu’il était plus difficile pour les Nord-Côtiers de trouver du travail à la Romaine au début du projet.

Vincent Paquet 39 ans

Manœuvre, EBC

Originaire de Matane

À la Romaine depuis 2012

Employé de l’entreprise EBC depuis 17 ans, Vincent Paquet a travaillé sur quatre différents chantiers hydroélectriques d’Hydro-Québec. « C’est le plus montagneux, dit-il. Ce sont de grands travaux, alors c’est le fun d’y participer. Ce que j’aime le plus des grands chantiers, c’est de rencontrer des gens de partout au Québec, on fait de belles rencontres. » Papa de deux enfants, M. Paquet ne cache pas que les nouvelles technologies rendent la séparation plus facile. « On fait du Skype le plus souvent. C’est difficile, mais on se bâtit des projets et quand j’arrive, on se gâte. »

Caroline Hervieux 61 ans

Employée à l’entretien ménager

Originaire de Pessamit (nation innue)

À la Romaine depuis 2010

Caroline Hervieux veille à l’entretien ménager quotidien des studios aménagés au campement pour les invités. « C’est physique. Ça m’encourage à avancer dans la vie. Quand je termine ma journée, la plupart du temps, je suis satisfaite, raconte-t-elle. Parfois, la vie au chantier, c’est difficile parce qu’on est loin de notre famille, mais il y a quand même beaucoup de choses à faire pour se désennuyer. » La Romaine sera le dernier chantier de Mme Hervieux, qui prendra sa retraite à la fin des travaux. « J’ai plein de choses encore à faire, lance-t-elle. Je veux finir mon secondaire 5, planter bien des fleurs dans ma cour et m’occuper de mes petits-enfants. »

La Romaine

Tour guidé du chantier

Au nord du 51e parallèle

Une fois arrivé à la hauteur de la municipalité de Havre-Saint-Pierre, située à quelque 200 km à l’est de Sept-Îles, il faut piquer vers le nord et rouler plus de 150 km sur une nouvelle route, construite par Hydro-Québec, pour atteindre la Romaine-4. Le chantier se situe donc à plus de 1200 km de Montréal.

600

Environ 600 repas sont servis au déjeuner et au souper quotidiennement à la cafétéria du campement Mista. Le service du déjeuner s’amorce autour de 4 h 45.

Comme un village

Le campement Mista, situé tout près de la centrale Romaine-3, peut accueillir plus de 1500 travailleurs. L’endroit est muni de dortoirs, d’une cafétéria, d’un centre des loisirs, d’un bar et d’un dépanneur. L’hiver, un aréna est aménagé, tandis que l’été, la glace laisse place à un terrain de baseball. Les travailleurs qui raffolent de la pêche peuvent aussi profiter d’une « cabane » pour arranger le poisson.

Ça bouge !

Les employés de Sodexo, qui s’occupent de l’entretien ménager du chantier, commencent toujours la journée par une petite séance d’exercices ! Les quelque 1500 chambres des dortoirs du campement Mista sont nettoyées tous les jours.

Priorité : santé et sécurité

À chaque début de quart de travail, les employés participent à une rencontre axée sur la santé et la sécurité pendant laquelle ils sont invités à faire part de leurs préoccupations. Un gestionnaire d’Hydro-Québec y participe aussi. Ces rencontres ont lieu systématiquement depuis le « virage » entrepris par la société d’État pour améliorer ses pratiques.

Surveillance policière

Près d’une vingtaine de patrouilleurs sont employés de la sécurité industrielle d’Hydro-Québec. Ces agents jouissent d’un petit poste de police, près du campement. Ils collaborent avec la Sûreté du Québec au besoin. Cette « police industrielle » répond à environ une cinquantaine d’évènements de nature criminelle par an pour des dossiers allant de voies de fait à la conduite avec les facultés affaiblies en passant par la possession simple ou le trafic de drogues.

Autorités multitâches

Les patrouilleurs de la sécurité industrielle détiennent aussi une formation de pompiers et de premiers répondants. Un poste d’incendie, équipé un peu comme celui d’une petite municipalité, est aussi contigu au poste de police.

Voisin de la faune

Situé en plein cœur de la forêt boréale, dans l’arrière-pays de la Côte-Nord, le chantier de la Romaine n’accueille pas que des travailleurs. Il n’est pas rare d’observer des ours dans le secteur ou même des loups. Une maman ourse et ses oursons visitent, paraît-il, souvent les environs de la centrale Romaine-3.

La Romaine

Le dernier grand ouvrage ?

Le vaste complexe hydroélectrique de la Romaine sera-t-il le dernier grand ouvrage d’Hydro-Québec, alors que la société d’État compose avec d’importants surplus d’électricité ? Pour le grand patron Éric Martel, rien n’est moins sûr, puisque tous les scénarios possibles, dont celui de l’aménagement d’un nouveau barrage, sont sur la planche à dessin.

En entrevue avec La Presse, le président-directeur général de la société d’État a réaffirmé son intention de se doter d’un « éventail de choix » d’ici à 2020. « On veut se préparer à être capables de faire un choix. Ça pourrait être un projet hydroélectrique […] Ça pourrait aussi être de l’éolien ou du solaire, ça va dépendre de ce dont on aura besoin dans le futur. »

En septembre dernier, le premier ministre Philippe Couillard avait pourtant fait savoir à New York que l’ère des grands barrages était révolue au Québec. Le mois suivant, lors de l’inauguration de la centrale de la Romaine-3 sur la Côte-Nord, le chef du gouvernement avait nuancé ses propos en déclarant plutôt qu’il ne fallait jamais dire jamais.

Les visées d’Hydro-Québec n’ont pas changé, soutient M. Martel.

« Ce que notre plan stratégique dit, c’est qu’on finit la Romaine. À court terme, on n’a pas besoin de s’engager à commencer un autre ouvrage. Ce qu’on a dit, par contre, c’est qu’on ne sait pas si, en 2022, 2025 ou 2030, on va avoir besoin de rajouter de la capacité. »

— Éric Martel, PDG d’Hydro-Québec

« On va entre autres regarder quelles seraient les meilleures rivières pour nous, sur les plans économique et environnemental et sur le plan de l’acceptabilité sociale. Est-ce que ça sera sur la rivière A, B ou C ? », demande M. Martel. Les possibilités de projets d’énergie solaire et éolienne passeront le même examen. « On veut être prêts en 2020 », résume-t-il.

« Qu’est-ce qui va arriver avec la demande de nos alumineries ? Qu’est-ce qui va arriver au contrat [d’achat d’électricité] de Churchill Falls [qui vient à échéance en 2041] ? Il y a beaucoup de variables. Ce n’est pas une décision qui est facile à prendre, et c’est pourquoi il faut se donner des options », énumère le grand patron.

Exportation : la Romaine et la « robustesse »

Éric Martel ne cache pas que de grands ouvrages hydroélectriques comme celui de la Romaine apportent « de la robustesse » au réseau, ce qui offre ainsi à la société d’État un avantage concurrentiel lors de la négociation de contrats d’exportation de l’électricité québécoise, dont celui conclu en juin pour l’approvisionnement au Massachusetts.

Hydro-Québec convoite d’ailleurs l’obtention de contrats d’exportation dans d’autres États américains, au sud de la frontière, et en Ontario, alors que la province canadienne, alimentée en bonne partie par l’énergie nucléaire, cherche à réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Une des trois centrales nucléaires ontariennes doit aussi être fermée d’ici à 2020.

« On est capables de les rassurer sur notre capacité à les approvisionner », estime le président-directeur général.

« Ce qui a été important pour [le Massachusetts], c’est la fiabilité du réseau, l’impact environnemental et notre capacité à prédire les prix pour une longue période de temps. […] C’est certain que la Romaine entrait dans l’équation. »

— Éric Martel, PDG d’Hydro-Québec

Si l’entente entre Hydro-Québec et son partenaire Central Maine Power se concrétise, la société d’État pourrait fournir en énergie le Massachusetts pendant 20 ans à partir de 2022, ce qui en ferait le plus important contrat d’exportation de l’histoire d’Hydro-Québec. Le contrat est conditionnel à la construction d’une ligne de transport de 233 km, entre autres.

« On peut avoir une plus grande contribution à l’enjeu planétaire de réduction des émissions [de gaz à effet de serre] », précise M. Martel. « Sur le plan économique, ça peut être hyper intéressant. L’hydroélectricité, c’est notre pétrole à nous. Je vois qu’il y a encore du potentiel chez Hydro-Québec », dit-il entrevoir à long terme.

Selon lui, le fait que la demande québécoise « est saturée » offre également une occasion de libérer davantage de capacité pour exporter.

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