À ma manière

Monter à l'assaut de la France

L’aventure : vendre en France des porte-échelles pour camionnettes. La manière : s’insérer subtilement dans l’échelle sociale.

Exporter ses porte-échelles pour camionnettes aux États-Unis ?

Mouais…

Quand on mise sur la qualité, il est difficile de battre les concurrents américains sur leur terrain : le vite fait, bon marché et mal foutu.

Mais la France ! Ah, la France !

Voilà des gens sensibles au travail soigné !

« Les Européens trouvent nos produits nickel et fonctionnels, constate Guy Côté, président de Techno-Fab. Un Américain, lui, soude quatre bouts de tube, les boulonne sur le camion, puis il charge son échelle. »

Déjà propriétaire de deux petites entreprises de transformation de métal, il a acquis Techno-Fab en 2012, pour enfin fabriquer ses propres produits. En 2014, quand il a voulu élargir son marché, il a donc tourné son regard vers la France.

OPTIMISATION OPTIMALE

« J’ai décidé d’investir énormément dans le design », affirme Guy Côté.

Sa petite équipe d’ingénieurs et de techniciens, assistée du consultant en design industriel Morelli designers, s’est attaquée au renouvellement de sa gamme de porte-échelles en aluminium fixés au toit, au flanc ou dans la caisse des véhicules.

« On est tout en train d’optimiser », indique-t-il.

C’est ce qui s’appelle de l’optimisation, en effet. Leur support latéral est passé d’une dizaine de versions, chacune dotée d’une fonction unique, à un seul modèle multifonctionnel, capable d’accueillir aussi bien les escabeaux que les échelles.

La refonte a aussi touché le marketing. Un quidam inattentif pourrait croire naïvement que Techno-Fab fabrique de vulgaires porte-échelles. Attention ! Elle se spécialise maintenant dans les systèmes de productivité pour échelles industrielles !

Et dans la cour de la petite usine, le responsable de l’ingénierie Guillaume Audet en fait la démonstration.

Sur le porte-échelle installé sur le toit d’une remorque, il tire un levier qui fait basculer un support sur le côté. Il y charge une échelle, qu’il bloque en place à l’aide de deux fermoirs coulissants. En repoussant le levier, il replace le support sur le toit.

Chrono : 19 secondes.

« Quand on parle de système productif, c’est ça », résume Guy Côté.

SUSCEPTIBILITÉ FRANÇAISE

Mais encore fallait-il en convaincre les Français, qui ont une petite réputation de rétivité.

« Il faut jouer avec la susceptibilité française, tout le côté rigidité, et le décodage du non-dit. »

— Pierrick Olichon, directeur des ventes et du développement des marchés chez Techno-Fab

Pour éviter les impairs, mieux vaut avoir un intermédiaire sur place, familier avec l’échelle sociale du pays.

Pierrick Olichon renoue avec un ancien collègue français, et lui confie la réalisation d’une petite étude de marché. Philippe Pradel remet son rapport en décembre 2014. En France, 95 % des porte-échelles sont des galeries de toit, où le technicien doit péniblement hisser l’échelle par l’arrière. La manœuvre prend une minute et demie.

Conclusion : le marché des porte-échelles est porteur.

INFILTRATION

En février 2015, Guy Côté confie à Philippe Pradel un mandat de représentation en France.

Ils établissent leur stratégie. Première étape : Techno-Fab s’infiltrera subrepticement dans le château fort français avec un « leader d’opinion ».

Ce sera Escot Telecom, à Aurillac, à laquelle ils fournissent gratuitement quelques porte-échelles.

Mais ce n’est pas gagné.

Chez Escot, le patron refuse de jeter un coup d’œil sur le nouveau support installé sur quelques camions, malgré l’enthousiasme pressant du gestionnaire du parc de véhicules. C’est du pareil au même, dit-il. Pour le convaincre, le gestionnaire tourne une vidéo avec son cellulaire et montre le résultat : 19 secondes pour fixer l’échelle en place. Le chrono du patron, dans sa course jusqu’au véhicule d’essai, sera à peine plus lent.

« Ils sont enchantés du produit, résume Pierrick Olichon. À tel point que lorsque le premier technicien qui a utilisé notre système est parti en vacances, il a gardé les clés du véhicule pour que personne ne le prenne ! »

NORD CONTRE SUD

Deuxième étape : « J’ai dit à Philippe : identifie-nous deux distributeurs, un au sud de la France, l’autre au nord », poursuit Guy Côté.

Le Québécois fait alors connaissance avec une autre particularité gauloise : la susceptibilité territoriale. L’entreprise du nord veut aussi le territoire sud, et celle du sud exige l’exclusivité au nord.

« Je suis allé les voir. »

Le sud consent alors à se concentrer au sud. Mais le nord refuse de se contenter du nord et retire ses billes. L’apprenant, le sud exige tout l’Hexagone. 

Guy Côté se rebiffe et décide de prendre lui-même les choses en main : s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là, comme l’écrivait Hugo. « On était rendu à l’automne 2015 », dit l’homme d’affaires. « On avait perdu six mois. »

RECHERCHE D’UN ALLIÉ

Changement de stratégie. Phillipe Pradel est cette fois chargé de trouver un partenaire. « Je ne voulais pas partir seul, explique Guy Côté. On ne connaît pas les rouages, là-bas. »

Philippe Pradel en parle à Michel Toussaint, président d’une imprimerie qui distribue également du matériel publicitaire destiné au transport.

En février 2016, M. Toussaint vient faire la tournée des trois entreprises de Guy Côté. Il aime ce qu’il voit. « Il m’a regardé et il m’a dit : monsieur Côté, j’embarque avec vous. »

Avec Philippe Pradel et Michel Toussaint, Guy Côté fonde Techno-Fab Europe, dont il est actionnaire majoritaire.

LE FRANGLAIS DE FRANCE

En même temps, il faut repenser les emballages et adapter le matériel promotionnel aux spécificités françaises.

C’est-à-dire y ajouter de l’anglais, comme on le leur recommande.

« Pour le Québec, on a fait les brochures en français, et pour la France, avec des mots français et anglais. Quand on met un “Time is on your side, now”, ah ça, c’est bon ! »

— Pierrick Olichon, directeur des ventes et du développement des marchés chez Techno-Fab

PROCÉDURITES

Mais Guy Côté n’est pas au bout de ses peines : il s’agit maintenant d’enregistrer l’entreprise en France.

« Là-bas, ce n’est pas comme ici. Ici… » Il fait un claquement de doigts. « Là-bas, il a fallu que mes avocats envoient le diagramme, la charte de mes compagnies… »

En avril 2016, il se rend lui-même en France. « On va donner le grand coup », se dit-il.

Ce fut surtout un long coup.

« C’est les avocats, les statuts, la compagnie, puis on tombe dans les congés… Nous sommes aujourd’hui le 23 septembre et c’est cette semaine que le transfert de fonds a été fait, que le compte de banque est ouvert, que les statuts sont déposés. On attend juste l’étampe du gouvernement. »

Enfin, l’échelle est dressée contre le rempart français, Techno-Fab est prête à monter à l’assaut : le premier lot de nouveaux porte-échelles latéraux sera expédié la semaine suivante, nous apprend-il.

Quelques jours plus tard, il donne des nouvelles par courriel.

« Malheureusement, ils ne sont pas partis encore. Nous attendons notre numéro d’importateur pour Techno-Fab Europe. Encore les dernières “procédurites”… Question de jours ! Grrrrrrrrrrrrrrrrr ! Ils sont attendus, car nous en avons tout près de 50 % de vendus ! »

Les derniers échelons. Il y est presque.

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