OPINION Gestion d’entreprises

Les dividendes d’un C.A. plus féminin 

Voici un texte à l’occasion de la Journée internationale des femmes, qui aura lieu mercredi.

La participation des femmes dans les instances des grandes organisations a fait couler beaucoup d’encre ces dernières années. Plusieurs enjeux préoccupent autant les dirigeants d’entreprise que les milieux politiques et universitaires à travers le monde.

La question qui tue

Est-ce que les sociétés qui font plus de place aux femmes au sein de leur conseil d’administration (C.A.) surpassent leurs concurrents qui ne le font pas ? C’est une question complexe et délicate. Pour y voir clair, il faut se référer à des études de qualité et surtout à l’accumulation de preuves scientifiques qui convergent. Une récente méta-analyse basée sur 140 études conclut à une contribution significative des femmes au bon fonctionnement des C.A. et par ricochet, à une meilleure performance financière. Une autre méta-analyse regroupant 87 études montre que les entreprises comptant un plus grand nombre de femmes au sein de leur C.A. tendent à être plus socialement responsables et plus respectueuses de l’environnement. Nos propres études ont permis de jeter un regard précis sur ces questions. En prenant en compte le risque et le niveau de complexité des firmes, nos recherches ont démontré que les équipes de direction plus diversifiées affichaient quelques points de rendement additionnels. Nous avons également documenté une corrélation significative entre la diversité des C.A. et les politiques favorables à la communauté et à l’environnement. De ce point de vue, on peut conclure que la participation des femmes en gouvernance est très souhaitable.

Qu’est-ce qui explique ces résultats ?

D’une part, les points de vue différents que les femmes apportent permettent d’enrichir les débats et la qualité du processus décisionnel. En fait, la diversité d’opinion contribue à briser l’effet pervers qui se manifeste souvent lorsque les membres d’un même groupe sont trop homogènes. D’autre part, il est reconnu que les hommes et les femmes diffèrent également en matière d’intelligence émotionnelle. Je vous entends penser d’ici. Un autre sujet délicat sur lequel on pourrait s’étendre longtemps. Certains diront que ces différences tendent à s’estomper dans le milieu des affaires. Comme s’il n’y avait qu’une seule façon de faire des affaires. Heureusement, ce n’est pas l’avis de tous. En voici un exemple : une étude effectuée auprès de négociateurs masculins par des docteurs en médecine et en pharmacologie révèle que pendant la bulle technologique, les hausses importantes du marché boursier ont déclenché des réactions hormonales (eh oui, des montées de testostérone) qui ont amené leurs sujets à acheter des titres à des prix trop élevés par excès de confiance ! Et lorsque ces titres se sont mis à chuter dramatiquement, plusieurs hommes ont paniqué et ont vendu trop tôt. Leur niveau de cortisol, l’hormone associée à l’aversion au risque, avait augmenté. Les chercheurs concluent à des différences physiologiques importantes entre les hommes et les femmes qui les portent à se comporter différemment face aux fluctuations des marchés boursiers. Les auteurs suggèrent qu’une plus grande diversité dans l’industrie financière pourrait contribuer à réduire la volatilité des marchés boursiers. La science peut parfois sabrer les préjugés, n’est-ce pas ?

Comment favoriser l’accès des femmes aux C.A. des grandes sociétés ?

En collaboration avec des chercheurs allemands, nous avons démontré que l’accès des femmes aux C.A. de grandes entreprises dépend grandement des structures institutionnelles et des valeurs culturelles propres à chaque pays. Nos études révèlent que l’émancipation des femmes en affaires repose sur trois grands piliers : les structures qui favorisent leur éducation et le développement de leurs compétences ; les valeurs qui favorisent leur émancipation et qui font en sorte qu’elles sont motivées et se sentent appuyées ; et le cadre légal qui leur donne les pleins pouvoirs politiques, économiques et sociaux. À ce chapitre, les pays scandinaves sont un exemple à suivre. Avis aux politiciens.

Éthique et capitalisme bienveillant

Force est de constater que ce sont souvent des femmes qui, au risque de brusquer l’ordre établi, expriment leurs convictions. Je pense notamment à Sherron Watkins et à Cynthia Cooper qui ont dénoncé les activités frauduleuses de leurs employeurs, les tristement célèbres Enron et WorldCom. Ces dévoilements ont, par ailleurs, déclenché une vague de réformes importantes en gouvernance. Plus récemment, Sophie Brochu, PDG de Gaz Métro, demandait à ses homologues de repenser leur façon de faire des affaires en étant plus sensibles aux enjeux sociaux et environnementaux de la société, au risque de perdre quelques points de rendement. Quel courage ! Ces propos rejoignent ceux portés par des mouvements internationaux qui ont pris naissance aux États-Unis comme le conscious capitalism et la certification « B-Corp ». Les entreprises doivent veiller au bien-être de l’ensemble de leurs parties prenantes. C’est une tendance lourde.

En conclusion, souhaitons que l’accès des femmes en gouvernance progresse à grands pas, que le plafond de verre devienne de l’histoire ancienne et que les entreprises se sentent inspirées par le pouvoir immense qu’elles ont de changer le monde.

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