Les Sommets du cinéma d’animation

Femmes animées

Dans le cadre des 16es Sommets du cinéma d’animation, qui se déroulent jusqu’au 26 novembre à la Cinémathèque, une discussion sur la place des femmes dans ce domaine aura lieu aujourd’hui à 17h. Nous avons abordé la question avec quatre cinéastes dont les derniers courts métrages sont présentés lors de cet événement.

Quand on leur demande quel est le développement technologique qui a le plus marqué le cinéma d’animation ces dernières années, elles sont unanimes : « After Effects ! » Mais elles ont plus en commun que ce logiciel étonnant, qui démocratise leur métier.

Torill Kove, Parissa Mohit, Éléonore Goldberg et Keyu Chen viennent toutes de réaliser de nouveaux courts métrages magnifiques et sensibles, traversés par les thèmes de la filiation, de l’attachement et de la mémoire.

« Il y a quelque chose dans l’air », souligne en souriant Torill Kove, la doyenne de ces créatrices, sélectionnée trois fois aux Oscars et oscarisée en 2006 pour son court métrage Le poète danois.

Ce sont aussi quatre réalisatrices, nées ailleurs et installées aujourd’hui à Montréal. Elles évoluent dans un milieu où il y a certes beaucoup plus de femmes derrière la caméra que dans l’usine hollywoodienne, mais qui n’est pas épargné par les disparités entre les sexes.

C’est toujours le même problème : plus on monte dans la hiérarchie, moins les femmes sont présentes, même si dans les cours, elles sont actuellement à parité et parfois même plus.

« Mais j’ai l’impression en général que le travail des hommes, leurs films, est plus mis en avant que celui des femmes. »

— Éléonore Goldberg

« Je suis d’accord, poursuit Parissa Mohit, même si nous sommes égales en termes de production, de nombre de films. »

Au chapitre de la diffusion, les décideurs de festivals et autres événements sont aussi majoritairement des hommes. « J’ai l’impression qu’on attend encore des femmes qu’elles aient une certaine attitude de charme par rapport à la production en général, observe Éléonore Godlberg. On va être cataloguées différemment si on n’est pas charmantes, drôles, à la différence d’un réalisateur qui ne serait pas particulièrement souriant ou agréable. J’ai aussi remarqué que les animateurs seniors sont surtout des hommes. »

Il y a l’attitude aussi. « L’an dernier, j’ai travaillé dans un studio où il y avait autant de femmes que d’hommes, raconte Parissa Mohit. J’ai remarqué qu’à l’heure du dîner, quand on parlait de notre travail, les femmes étaient moins sûres d’elles, qu’elles mettaient plus l’accent sur leurs incertitudes, tandis que les hommes étaient plus confiants, même quand ils étaient plus jeunes et avec moins d’expérience. »

« C’est un milieu difficile, qui demande beaucoup d’heures de travail, qui n’est pas très payant, et c’est dur d’y rester longtemps. »

— Torill Kove

Torill Kove souligne également qu’elle voit peu de vieilles routières dans le milieu et que les divers métiers techniques reflètent encore des représentations traditionnelles.

Et s’il faut parler d’argent, Éléonore Godlberg rapporte un exemple très éclairant. « On m’a déjà approchée pour faire l’animation d’un film, et on m’a proposé un budget présenté comme le budget maximal. Finalement, je n’ai pas pu faire ce projet parce que je faisais mon film ; c’est un homme qui a fait le travail et j’ai appris qu’il avait été payé beaucoup plus. Même si j’étais le premier choix du réalisateur, on me proposait 5000 $ de moins. J’ai des amis illustrateurs aussi qui ont postulé pour le même emploi, et l’illustratrice s’est fait offrir un salaire moindre, pour le même travail. »

PLACE À L’AMÉLIORATION

« Je pense que les changements prennent du temps, résume Keyu Chen, avec philosophie, mais en soulignant les efforts qui sont faits à l’ONF. Elle est la lauréate du 23e Concours Cinéaste recherchée, qui était cette fois exclusivement réservé aux femmes.

Car l’ONF s’est engagé l’an dernier à atteindre la parité au sein de son institution.

En 2016-2017, 44 % des œuvres ont été réalisées par des femmes (contre 51 % pour les hommes et 5 % par des équipes mixtes). Et l’ONF n’en restera pas là, puisqu’on vise aussi la parité, pour 2020, dans les « postes clés de création dans les projets documentaires, interactifs et d’animation ».

Bref, on veut régler les choses, ce qui fait dire à Torill Kove : « Il y a peut-être plus d’hommes dans les services techniques, et plus de femmes dans les positions administratives, mais les femmes sont bien représentées à l’ONF. Il y a une politique de parité et je crois vraiment que tous les genres y sont les bienvenus, dans tous les départements. »

Le 5 à 7 de l’Alliance Québec Animation sur le thème « Les femmes dans l’industrie », avec Claire Blanchet, Keyu Chen, Janet Perlman et Marina Galet, aura lieu aujourd’hui à 17 h à la salle Norman-McLaren de la Cinémathèque québécoise. 

PUBLICATION ET COURSE AUX OSCARS

Nous avons appris que Firefly Books est devenu l’éditeur officiel anglophone pour l’Office national du film et adaptera en format imprimé une série de films d’animation. Des discussions sont en cours pour le côté francophone. Les deux premiers livres sont The Cat Came Back de Cordell Barker et My Grandmother Ironed the King’s Shirt de Torill Kove – celle-ci sera en séance de signature ce dimanche aux Sommets. Soulignons aussi que le dernier film de Torill Kove fait partie des cinq films de l’ONF admissibles cette année à la course aux Oscars dans la catégorie du court métrage d’animation. Tous de créateurs montréalais, dont trois femmes. Les voici : Threads (Rubans) de Torill Kove, Hedgehog’s Home (La maison du hérisson) d’Eva Cvijanovic, The Tesla World Light (Tesla : lumière mondiale) de Matthew Rankin, I Like Girls (J’aime les filles) de Diane Obomsawin et My Heart Attacks (Ma crise cardiaque) de Sheldon Cohen. Les nominations seront annoncées le 23 janvier.

— Chantal Guy, La Presse

Torill Kove

Née en Norvège
Lauréate d’une vingtaine de prix, trois fois sélectionnée aux Oscars et gagnante de l’Oscar en 2006 pour Le poète danois

À propos de Rubans

« Au début, je voulais faire un film au sujet de l’adoption, inspiré de mon expérience comme mère adoptive. J’ai voulu faire un film sans mots, sans narration. Après un certain temps, j’ai compris que ce n’était pas vraiment important que le film soit sur l’adoption. C’est plutôt un film sur l’attachement. Quand j’ai commencé à travailler sur le film, ma fille avait 12 ans. Elle était toujours très proche de moi quand elle était petite, très affectueuse. Comme parent, j’aimais ça, c’était beau, agréable. Et puis un jour, c’était fini ! Ce sont vraiment des phases comme ça quand on a un enfant. L’attachement est quelque chose qui évolue. »

Keyu Chen

Née en Chine
Lauréate du 21e concours Cinéaste recherchée, qui lui a permis de réaliser son film.

À propos d’Un printemps

« C’est l’histoire d’une petite fille qui quitte sa famille, son nid, ses traditions. C’est mon histoire, mais dans le film, c’est plus abstrait. Je suis passée de la Chine à Rouyn-Noranda ; ensuite, j’ai étudié à Québec et je me suis installée à Montréal. On me disait “tu es courageuse”… Comment quitter sa famille ? C’était difficile de répondre, j’étais jeune quand je suis partie, je ne réfléchissais pas vraiment. »

Parissa Mohit

Née en Iran
Sélectionnée au programme de mentorat et à la résidence conjointe du M.A.I. (Montréal arts interculturels) et du PRIM en 2012

À propos d’Une visite

« Mon film est une histoire très personnelle. Quand j’étais enfant, je restais avec ma tante, et l’enfant que j’étais ne recevait pas l’attention qu’elle désirait. Un jour, je me suis cachée, et j’ai été témoin de la réaction de ma tante, comment pour elle tout le monde s’effondrait parce qu’elle pensait avoir perdu l’enfant de son frère. Aujourd’hui, je me sens plus proche de cette femme que de l’enfant. Je voulais montrer que les jeux de l’enfance deviennent de plus en plus sérieux quand on grandit. »

Éléonore Goldberg

Née en France
Lauréate du prix SODEC/SARTEC, accompagné du Prix spécial du jury, au concours Cours écrire ton court pour Mon yiddish papi. Mention honorable au Festival du film Breakthroughs (2014) et le Prix spécial du jury en animation au festival Cinema on the Bayou (2015) pour son court métrage Errance.

À propos de Mon yiddish papi

« J’ai fait ce film pour honorer une promesse faite à mon grand-père avant sa mort. Il m’avait demandé de raconter ses aventures durant la guerre. Il était résistant, il était juif. Il avait de la difficulté à s’exprimer et avait demandé à mon père de les écrire et à moi de les dessiner. J’avais 19 ans, j’étais encore à Paris. J’ai déménagé à Montréal. Il est décédé. Je me suis rendu compte que je ne l’avais pas encore fait. C’est un film qui parle de ce lien, de l’amour entre mon grand-père et moi. Du devoir de mémoire. C’est un hommage à notre relation et au courage de cet homme. »

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