Michel Brault 1928-2013

L’homme qui nous a tirés de notre propre oubli

Le Québec vient de perdre un autre pilier de son cinéma national. Michel Brault, chef opérateur, producteur, scénariste, réalisateur mondialement reconnu comme un chef de file du cinéma direct, a succombé à une crise cardiaque alors qu'il se trouvait à Toronto. Il était âgé de 85 ans.

Par le cinéma direct, ce cinéaste sensible et bienveillant est celui qui a délivré les Québécois du monopole des images fabriquées ailleurs. Il leur a tendu un miroir, leur a permis de se voir, de s’entendre, de se reconnaître et d’avoir le goût de vivre encore. Comme l’a dit si joliment Pierre Perrault, « il nous a tirés de notre propre oubli ».

Né en 1928 au sein d’une famille bourgeoise de Montréal, qui rêvait pour lui d’un autre avenir que celui de cinéaste, Michel Brault se découvre dès l’adolescence un goût pour le langage de la caméra à la faveur de son amitié avec Claude Jutra, qui l’associe à ses premiers films expérimentaux.

Sa passion pour l’image est telle qu’en 1949, il abandonne la préparation de son examen du baccalauréat pour s’y consacrer. Avec Jacques Giraldeau et Raymond-Marie Léger, il caresse l’ambitieux projet d’adapter à l’écran L’étranger de Camus. Le projet avorte, mais lui vaut néanmoins un stage de trois mois à l’Office national du film comme assistant-caméraman.

Précurseur du cinéma direct

Après cette expérience, Brault travaille comme photographe professionnel pendant quelques années et signe les images de deux séries pour la télévision, Petites médisances et Images en boîte. C’est alors qu’il apprivoise et exploite la lumière naturelle, rompant ainsi avec la tradition de l’éclairage artificiel farouchement défendue dans le milieu cinématographique de l’époque. Répugnant à observer les gens en voyeur à l’aide d’un téléobjectif comme on le faisait alors, il opte pour le grand oculaire et apprend à s’introduire chez les gens pour les filmer de près, avec leur permission. C’est le début d’une nouvelle forme d’expression cinématographique qu’on appellera bientôt le cinéma direct.

En 1956, Brault retourne à l’ONF pour faire les images du film Les mains nettes, le premier long métrage de son ami Claude Jutra. Jusqu’en 1960, il y tournera une quarantaine de courts et moyens métrages, tout en s’opposant à une vision du cinéma qu’il tient pour académique et à une écriture cinématographique qu’il juge en contradiction avec la mission documentaire de l’Office. En 1958, avec Gilles Groulx, il coréalise Les raquetteurs qui, avant de devenir un classique du cinéma québécois, exerce une influence déterminante sur l’équipe française de l’ONF. Celle-ci s’engage résolument dans la voie du mouvement direct dont Brault, Maurice Carrière et Gilles Groulx se voient attribuer la paternité.

À titre de caméraman et chef opérateur, on doit à Michel Brault les plus belles images du cinéma québécois, celles notamment de Mon oncle Antoine et Kamouraska de Jutra, du Temps d’une chasse et des Bons débarras de Francis Mankiewicz.

Par ailleurs, à son compte, il a conçu, écrit et réalisé, tout en faisant les images, plusieurs films-témoins de notre petite histoire et de notre affirmation nationale : entre autres, Les enfants du silence (1962), Pour la suite du monde (coréalisé avec Perrault en 1963), La fleur de l’âge (1964), Entre la mer et l’eau douce (1967), Éloge du chiac (1969), Les ordres, film qui lui a valu en 1974 le Prix de la mise en scène du Festival de Cannes et quatre Génies. Au brillant palmarès de Michel Brault, il faut compter aussi le prix Victor-Morin (1975), le prix Molson (1980), le prix Québec-Alberta (1986) et le prix Albert-Tessier, plus haute distinction accordée par Québec dans le domaine des arts (1986).

Engagement social

Depuis la fin des années 80, Brault s’était tourné surtout vers la réalisation de films pour la télévision, secondé à la direction photo par son fils Sylvain. Les noces de papier, qui traitait de l’immigration clandestine, L’emprise, de la violence conjugale, Shabbat Shalom sur le quotidien dans le quartier juif de Montréal, Mon amie Max sur les difficiles retrouvailles d’une mère célibataire et de son fils devenu homme, et l’attachant court métrage de fiction Diogène, sur l’éviction du vieux tenancier d’un kiosque à journaux, témoignent de cette tendance, comme de la sensibilité de l’auteur aux problèmes sociaux de son époque.

Car en marge de sa carrière personnelle, Michel Brault a toujours fait preuve d’un engagement social et professionnel peu commun. Déjà dans les années 50, il collaborait comme critique à la revue Découpages. Avec Claude Sylvestre, il a fondé à la même époque un ciné-club pour pallier l’indigence du cinéma présenté au Québec durant les années de la censure duplessiste baptisées la Grande Noirceur. C’est lui encore qui a fondé en 1969 le Syndicat national du cinéma.

Le titre de son dernier fim, réalisé en 1998 et dans lequel il a tourné à sa façon la révolte des Patriotes de 1837, sonne aujourd’hui comme un message de sa part : « Quand je serai parti, vous vivrez encore... »

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