À table avec Léa Clermont Dion
La jeune
et belle battante
La Presse
Léa Clermont-Dion a eu 23 ans hier. On dirait la version féminine de Léo Bureau-Blouin ou Gabriel Nadeau-Dubois. Une jeune éloquente, très engagée. Politique et photogénique.
Elle revient d’une année d’études à Sciences Po à Paris, est titulaire d’un bac en science politique et amorce une maîtrise en science politique et études féministes à l’Université Laval. Et elle vient de publier
chez VLB éditeur. Le sujet : l’obsession généralisée de la société pour une beauté qui n’est plus ancrée dans la réalité. Léa ne dit pas qu’elle est moche, que nous sommes tous moches. « Mais la société nous envoie à tous l’image qu’on est tous moches », explique-t-elle en entrevue devant un petit-déjeuner au Passé composé, sur le Plateau.Et ça, elle n’en peut plus.
Elle n’en peut plus parce que cette quête illusoire l’a poussée à l’anorexie, amenée à mettre sa vie en danger. Parce qu’elle voit bien qu’elle n’est pas la seule à avoir souffert, sans parler de ceux qui souffrent encore.
Aujourd’hui, Léa avance en mangeant. Mais la sensibilité demeure. D’où l’envie d’écrire ce livre, qui lui a pris trois ans, qu’elle n’aurait pas fait si Jacinthe Laporte, son éditrice, ne l’avait pas encouragée à chaque pas.
« Je me trouvais bien jeune pour écrire un livre. Il me semble qu’à mon âge, on doit plutôt en lire. »
— Léa Clermont-Dion
Qu’importe, l’ouvrage est là, apportant sa voix et celles de toutes sortes d’artistes et personnalités qui se confient sur leur rapport à la beauté et à la société, à travers cette lorgnette.
L’ouvrage ne passe pas inaperçu depuis sa parution cette semaine, donnant lieu, au pire, à d’étranges éclats suintant la jalousie sur les blogues et médias sociaux et, au mieux, à des témoignages venant confirmer l’étendue du problème, comme celui de Mitsou. Cette semaine, sur son blogue, la chanteuse d’une très grande beauté a confié que pendant que le Québec l’adulait, alors qu’elle sortait à peine de l’adolescence, elle souffrait chaque fois qu’on la décrivait comme pulpeuse ou voluptueuse.
« Imaginez si Mitsou se trouve pas belle », écrivait une lectrice cette semaine sur Twitter. Exactement, imaginez. Et c’est le message du livre.
Léa, qui a piloté le projet de Charte québécoise pour une image corporelle saine et diversifiée, trouve les attaques au sujet de son livre et surtout les attaques personnelles – on lui reproche de ne pas être moche ! – bien difficiles. Mais se taire ne fait pas partie des options. « J’aime les Jedi », dit-elle. « Sinon la vie est platte au boutte. »
Elle a d’ailleurs aimé participer, comme elle le pouvait, à la grève étudiante de 2012. « Il y avait quelque chose de vraiment très inspirant là-dedans », dit-elle. Mais elle a adoré aussi s’asseoir en classe et boire les paroles de ses profs parisiens, comme Stéphane Rozès, conseiller de François Hollande. « Ici, on n’écoute pas assez les intellectuels, on ne leur fait pas assez de place. Michel Freitag, le grand sociologue, meurt, et personne n’en parle ! On parle plus des participants d’
! »Originaire de Gore, dans les Laurentides, un petit village près de Morin-Heights, élevée par des parents préférant le calme de la nature au brouhaha urbain, Léa habite maintenant Montréal.
Demain, elle ira voter pour Québec solidaire. « Oui, je fais mon
! Et en plus, on a un bon candidat dans Hochelaga-Maisonneuve. »Mais elle espère que le Parti québécois sera élu. Notamment parce qu’elle n’a rien en commun avec les libéraux et qu’un des moments les plus déprimants de sa vie fut l’élection de Jean Charest, le 14 avril 2003 (elle se souvient précisément de la date). Même si elle n’a pas aimé la campagne du PQ, pas aimé le débat sur la Charte. Même si elle a signé le manifeste des Inclusifs.
Contradictoire, tout ça ?
Souvent, la vie n’est pas en noir et blanc. Léa a grandi dans une famille où le père est électricien et travaille sur les grands chantiers pétroliers albertains, alors que la mère est une écolo passionnée de nature.
Souverainiste, elle est ressortie plus découragée que jamais, un jour, d’une rencontre péquiste où de vieux hommes militants lui avaient confié que Pauline Marois ne pourrait jamais faire l’indépendance parce que c’était une femme…
Les nuances, la complexité de mener de front plusieurs idéaux font déjà partie de ses réflexions, de ses tiraillements de jeune adulte.
Donc, même si elle n’était pas pour la Charte, la militante a préféré ne pas s’engager activement dans cette discussion-là, trouvant que les questions soulevées n’étaient pas aussi tranchées que la discussion publique le laissait entendre, qu’il y avait des éléments pertinents contre et pour la Charte… « Le titre m’a dérangée, dit-elle. Mais je n’étais pas assez anti-Charte pour m’embarquer. » Cela dit, la jeune femme a trouvé que durant la campagne, le Parti québécois n’avait pas assez dénoncé les dérapages intolérants liés à la Charte. « Ça aussi, ça m’a dérangée. »
Celle qui adorait, adolescente, participer à des simulations parlementaires espère un jour faire de la politique. « Mais plus tard, précise-t-elle. Quand je serai mature. »