Chronique

Ne te tais pas, Janette

J’ai beaucoup aimé lire hier matin dans les journaux la lettre écrite par Janette Bertrand au nom de toutes les « Janettes » de la province. J’ai aimé lire des femmes, personnalités artistiques et autres, exprimant ainsi leur crainte de voir la religion reprendre une place révolue au Québec et, notamment, d’imposer des reculs en matière d’égalité.

J’ai aimé que la lettre lance le sujet sur la place publique. Force la discussion.

Bref, j’aime les Janettes.

Et j’aimerais que cette discussion continue ainsi. En parlant de droits, d’égalité, de symbolique, de laïcité, de neutralité.

Que le débat continue sur des idées, des conceptions de l’État et de la société, sans jamais porter de jugement sur les êtres portant ou non des signes religieux ostentatoires, politiques ou inégalitaires.

Le comble de l’absurdité serait en effet de casser du sucre sur le dos de celles dont on est censé s’inquiéter.

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Il y a mille raisons de porter le hidjab ou le tchador et je ne saurais ici en faire une liste exhaustive, mais il est clair que pour certaines, ce voile est imposé par le père, le mari, le fils, le frère, l’imam – qui sait ? – et que le refuser pourrait avoir des conséquences graves. Des femmes, dont la jeune Ontarienne Aqsa Parvez, sont même mortes pour avoir dit non.

Certaines femmes disent le porter volontairement, mais elles se sont fait inculquer depuis leur naissance une conception inégalitaire des rapports entre les sexes qu’elles ont intégré, et qui fait qu’elles trouvent normales des choses que d’autres Canadiennes trouvent inconcevables, par exemple qu’une femme veuille se cacher pour ne pas tenter l’homme.

Certaines portent le voile pour afficher leur appartenance à leur culture, à leur religion. Pour elles, c’est un symbole identitaire volontaire fort, certaines en font même une cause. D’autres le portent parce que refuser les ostraciserait de leur famille et de leur communauté, la dernière chose dont une immigrante a besoin.

Bref, il y a mille raisons de porter le voile et je n’en fais pas la liste complète. Mais une chose est claire : aucune de celles qui s’en vêtissent ne mérite d’être jugée.

Parlons du symbole. Parlons du système. Parlons d’une démarche politique imposée collectivement aux femmes depuis la révolution iranienne. Pas de la personne qui vit en dessous.

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Personne ne sait combien de femmes portent le foulard et pourquoi chacune le fait. Comme la présidente du Conseil du statut de la femme, on aimerait tous avoir des chiffres.

Mais on ne les a pas. Et peut-on vraiment chiffrer une réalité aussi subjective ?

Pourrait-on vraiment savoir à l’avance combien de femmes choisiraient de quitter leur emploi si le voile était interdit dans la fonction publique ? Dans les CPE ? Il n’y a pas d’obligation de porter le voile en présence d’autres femmes et de jeunes enfants, on peut donc imaginer que, de ce côté, les démissions ne seraient pas nombreuses. Mais ailleurs ? La question se pose. Elle est légitime. Mais la réponse existe-t-elle ?

Il est légitime aussi de vouloir savoir combien de femmes seraient libérées de cette obligation, trouveraient enfin ainsi une justification acceptable pour s’en libérer si l’État décidait, à la française, que le port du hidjab n’est pas permis dans la fonction publique.

Selon Leila Lesbet, féministe d’origine algérienne et membre du Conseil du statut de la femme, ce groupe est le plus nombreux.

Il y a bel et bien, dit-elle, des femmes éduquées, politisées, éloquentes, qui militent dans des organismes comme la Fédération des femmes du Québec ou Québec solidaire, qui ont fait ce choix librement et en font même une cause.

Mais selon Mme Lesbet, ces femmes ne représentent pas la majorité des femmes voilées qui habitent le Québec. La majorité silencieuse, dit-elle, a une toute autre histoire.

Ce sont des femmes que l’on entend peu, qui veulent passer inaperçues, qui sont venues ici chercher un monde meilleur, qui l’ont trouvé et, donc, qui ne repartiront pas, même si le voile était interdit dans la fonction publique. Ces femmes, explique Mme Lesbet – qui parle arabe et connaît la communauté de ce qu’on appelle ici « Le petit Maghreb » – ne vont pas brandir des pancartes pour réclamer leur égalité. Elles subissent leur sort en silence.

Mais ceci ne veut pas dire qu’elles ne veulent pas que les choses changent, affirme l’observatrice féministe pro-Charte.

Et ce sont ces femmes, croit-elle, que la société doit choisir d’appuyer non pas en leur disant quel choix religieux éviter, mais en envoyant des messages clairs sur la neutralité de l’État, sur la légitimité du refus du port de signes religieux, en évitant de valider les symboles inégalitaires, de leur donner un statut intouchable.

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Est-ce que la Charte telle que rédigée par le Parti Québécois, maintenant, à la veille d’éventuelles élections, est la solution idéale pour répondre à cette problématique ?

Peut-être pas.

Mais, chose certaine, il est normal et juste que des femmes québécoises s’inquiètent d’un effritement de l’égalité si durement acquise, visible à travers plusieurs accommodements et incarné par des symboles religieux.

Les Janettes ont bien raison de vouloir le dire haut et fort.

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