Chronique

Les angles morts de la science du pot

Prendre le volant après avoir bu, c’est dangereux. Prendre le volant après avoir fumé du pot, c’est dangereux.

Mais…

Mais la science est parfois pleine de mystères et l’expérience menée par mes collègues journalistes Tristan Péloquin et Philippe Mercure souligne cette part de mystère quant à l’effet du pot – désormais légal dans ce pays – sur les facultés des automobilistes.

Les quatre cobayes de La Presse qui ont pris place dans un simulateur de conduite automobile du CAA après avoir fumé ce qu’on doit appeler un gros batte ont affiché une performance similaire à leur performance avant de fumer – et d’inhaler… – du cannabis.

CE QUI NE VEUT PAS DIRE QUE C’EST UNE BONNE IDÉE DE CONDUIRE APRÈS AVOIR FUMÉ, je l’écris en lettres majuscules, avant de faire cette nuance importante que mes collègues ont faite : ces quatre cobayes étaient performants au volant POUR LES TÂCHES SIMPLES.

Mais ce qu’une étude publiée par l’Université McGill la semaine passée a montré, c’est que les automobilistes testés dans un simulateur similaire à celui utilisé par La Presse devenaient soudainement moins performants quand la tâche se complexifiait.

Et c’est là le bogue, comme quiconque a déjà conduit et réfléchi un peu à la conduite le sait fort bien : conduire… c’est complexe !

La différence entre un accident et un parcours sans histoire repose bien souvent sur la capacité à gérer les surprises routières comme un chevreuil ou un enfant qui surgit dans notre trajectoire, ou encore une perte de maîtrise pour cause de glace noire…

Ça, c’est plus difficile à négocier quand on est gelé. Ou soûl…

Les scientifiques interviewés par mes collègues n’étaient pas surpris du fait que quelqu’un qui est gelé ne prend pas forcément le champ après quelques minutes au volant. C’est cohérent avec ce que d’autres expériences scientifiques ont permis d’observer, auparavant…

Mais la réalité, c’est que l’état des connaissances scientifiques sur le cannabis et ses effets n’est pas aussi robuste que dans d’autres domaines. C’est vrai pour l’étude scientifique de l’effet du cannabis sur les facultés des automobilistes.

Il n’y a pas de corpus d’études qui permet de dégager un consensus sur la question, comme il en existe sur le lien entre la consommation d’alcool et l’incidence d’accidents de la route ou alors celui entre le tabagisme et le cancer.

C’est assez surprenant, sachant que le cannabis est une substance ultrarépandue. Mais la prohibition a plusieurs effets pervers et l’inhibition relative – il existe de la science sur le pot – de la recherche scientifique est un de ces effets pervers.

Le nombre d’études scientifiques sur le pot n’est donc pas à la hauteur de la prévalence de son utilisation. Il faut comparer des études aux méthodologies différentes. Les résultats sont parfois en apparence contradictoires… sans l’être, comme en font foi deux études sur l’effet de la légalisation du cannabis sur le nombre d’accidents aux États-Unis.

Heureusement, la fin de cette prohibition du cannabis au Canada a un effet vivifiant sur la recherche sur le pot : un chercheur de ma connaissance me confiait récemment que les vannes des organismes subventionnaires sont ouvertes pour les projets de recherche portant sur le pot

Ce n’est pas trop tôt : la prohibition a freiné l’évolution des connaissances.

On en sait beaucoup sur l’effet de l’alcool sur les automobilistes. Normal : l’alcool est une drogue légale. Sur les effets du pot sur ces mêmes automobilistes, on en sait beaucoup moins. Normal : comment tester facilement l’effet d’une substance… illégale ?

Mais voici ce qu’on sait, de façon absolument certaine : la meilleure façon de maximiser ses chances de ne pas être impliqué dans un accident de la route est d’être complètement à jeun, de ne pas avoir bu, de ne pas sniffer…

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