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Denis Villeneuve, l’entêté de l’année

Ville reine, 7 septembre. Le Toronto International Film Festival (TIFF) bat son plein depuis deux jours. Au programme de ce samedi, l’une des conférences de presse les plus courues. Parmi les participants : Hugh Jackman, Jake Gyllenhaal, Maria Bello, Melissa Leo, Terrence Howard, Paul Dano. Il y a aussi la productrice Kira Davis, le scénariste Aaron Guzikowski, de même que le compositeur Jóhan Jóhansson. Tout ce beau monde encercle le réalisateur de Prisoners, un dénommé Denis Villeneuve, assis au centre. La star du jour, c’est lui.

Quand les acteurs sont invités à commenter le travail du cinéaste québécois, Maria Bello prend la parole. « Je crois que tous ceux qui sont assis derrière cette table seront d’accord pour dire que Denis sera reconnu comme un maître de la réalisation pour encore bien des années à venir. » Cette déclaration est suivie par les applaudissements spontanés et nourris de tous les artisans du film.

Dire que Denis Villeneuve a fait une entrée fracassante à Hollywood relève de l’euphémisme. Au-delà de la qualité de son film, on loue surtout la manière qu’il a empruntée pour arriver à ce résultat impressionnant. Le réalisateur d’Incendies est parvenu à préserver son identité de cinéaste dans un système où bien des réalisateurs renommés ont rapidement frappé un mur.

Quatre mois après le lancement de son film au prestigieux festival de Telluride, Denis Villeneuve a du mal à prendre un peu de recul. Et s’étonne encore de tout ce qui lui arrive.

« Au début du tournage, je me suis demandé jusqu’à quel point on allait me laisser libre. Il faut dire que j’ai eu la chance d’être bien entouré. Le directeur photo était Roger Deakins, un homme très respecté. Il m’a appuyé sans réserve. On a voulu imposer notre manière dès les deux premières semaines. Un film sombre de deux heures et demie dans un contexte hollywoodien, c’est plutôt rare. Or, les producteurs m’ont soutenu du début à la fin. Ils m’ont dit : "It’s your movie, do what you want." Je n’en revenais pas ! »

Gérer la suite

Denis Villeneuve doit maintenant gérer la suite. Il a en outre signé un contrat avec Alcon Entertainment, société productrice de Prisoners, laquelle a un premier droit de regard sur tous ses projets au cours des deux prochaines années.

« Depuis la sortie de Prisoners, tout s’accélère, dit-il. Je recevais déjà pas mal de propositions auparavant, mais maintenant, ça se passe à un autre niveau. Avec, souvent, des noms de stars déjà liés à ces projets. Des offres sérieuses, qui méritent réflexion. Ça prend du temps. Je me suis toujours concentré sur un seul projet à la fois, mais là, je me retrouve à devoir en mener plusieurs de front. Cela m’amène à me questionner sur la manière avec laquelle je peux préserver mon identité. Et à réfléchir aussi à propos de mon rapport au cinéma. Je ne voudrais pas me lancer dans un projet par simple opportunisme.

« J’ai refusé des trucs auxquels je n’aurais même jamais pensé avoir accès dans ma vie. J’essaie de garder un regard clair, une vision cohérente, de trouver mon identité. Xavier Dolan a pu le faire clairement dès son premier film. Moi, j’ai toujours su que le processus se ferait sur la longueur, en creusant tranquillement mon propre sillon. »

Deux projets

Pour l’instant, Denis Villeneuve jongle avec deux projets américains, déjà financés. Vraisemblablement, il se lancera en 2014 dans le tournage d’un film écrit par Taylor Sheridan, dont l’intrigue se déroule à la frontière séparant le Mexique des États-Unis. Le titre Sicario a circulé dans certains médias, mais le réalisateur compte le changer.

« Les acteurs n’ont pas été choisis encore, précise-t-il. Je sais que Roger [Deakins] aimerait le faire avec moi, mais tout dépendra de son programme. Si tout va bien, on le fera ensemble. Je le souhaite, en tout cas. »

S’estimant plus américain qu’européen, Denis Villeneuve se sent « chez lui » sur un plateau de tournage aux États-Unis.

« Je me sens plus à l’aise avec une équipe de tournage en Géorgie qu’à Toronto, lance-t-il. Au Canada anglais, il faut que je m’adapte à la sensibilité des gens, à leur état d’esprit. Étrangement, il y a entre nous et les Torontois une plus grande différence de mentalité qu’avec les Américains. Je ne pourrais pas dire à quoi cela tient, mais ça m’a frappé de plein fouet. »

Pas d’exil

Cela dit, il n’est aucunement question d’exil pour Denis Villeneuve. Sa famille est ici, son milieu aussi. Et il estime même « inspirante » la ville de Montréal.

« Je ferai évidemment d’autres films chez nous, dit-il. Comme le processus d’écriture est long, il faut toutefois mettre au moins un an ou deux. J’aime travailler avec des scénaristes professionnels. C’est un peu ce qui nous manque dans le domaine du cinéma au Québec. »

Enemy, l’autre film que Denis Villeneuve a présenté au TIFF en 2013, prendra l’affiche en salle au mois de mars.

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