Folles frues fortes

La littérature comme arme de riposte massive

Avant même que l’idée d’un recueil naisse, c’est un titre qui est venu à l’esprit de l’autrice Marie Demers : Folles frues fortes. Des épithètes, surtout les deux premières, qu’on accole très souvent aux femmes.

« Sur les réseaux sociaux, j’étais témoin d’échanges qui se terminaient presque toujours ainsi : de toute façon, t’es juste une folle, t’es juste une féministe frustrée, explique Marie Demers en entrevue. Dès que la colère des femmes pointe, on les traite toujours de criss de folles. Les hommes, eux, ne sont jamais des criss de fous. »

La jeune femme, qui a aussi une belle carrière d’écrivaine en littérature jeunesse, venait de lire l’essai américain Too Fat, Too Slutty, Too Loud : The Rise and Reign of the Unruly Woman, d'Anne Helen Petersen. Ses réflexions tournaient beaucoup autour de cette idée du too much.

« Je réfléchissais beaucoup à l’idée que nos forces à nous, les femmes, sont toujours transformées en faiblesses finalement. Nous sommes toujours trop. » — Marie Demers

L’idée d’un collectif de textes de fiction féministes inspirés de ces thèmes lui est donc apparue rapidement, d’autant plus que l’expérience des collectifs, dans son cas, a toujours été heureuse. « J’ai participé à deux œuvres collectives : Monstres et fantômes et Nu, tous deux chez Québec Amérique. Dans les deux cas, ç’a été une révélation. Je me suis toujours sentie toute seule sur mon iceberg [rires|. Le collectif brise l’isolement. Le partage, ça m’a fait du bien. »

Ce collectif arrive dans les librairies alors que la colère des femmes est alimentée par plusieurs choses dans l’actualité ces jours-ci : les sorties publiques de Maxime Bernier à l’aube de la campagne électorale, la menace des conservateurs de rouvrir le dossier de l’accès à l’avortement, certaines chroniques particulièrement incendiaires qui ont suscité des réactions fortes dans les réseaux sociaux… « Disons qu’il ne manque pas de raisons d’être en colère », note Marie Demers, qui regrette de ne pas avoir réussi à attirer des autrices racisées au sein de son collectif. « J’ai multiplié les invitations, mais personne n’a levé la main, reconnaît-elle. Ce n’est pas évident, un collectif. C’est beaucoup de travail et ce n’est pas payant pour les auteurs. »

Textes forts recherchés

Folles frues fortes est le premier titre de la nouvelle collection Tête dure que dirigera Marie Demers chez Tête première. Une collection consacrée aux textes « irrévérencieux, incisifs, hors-normes et délurés », peut-on lire sur le site de l’éditeur, qui se dit à la recherche d’auteurs « à la plume assurée, ayant le courage de leurs idées et osant déranger l’univers, sans compromis ».

« J’ai une tête dure et je m’assume », lance Marie Demers en riant.

« Je sais que je suis très exigeante, que je demande beaucoup de réécriture, mais à la fin, je pense que j’ai raison de le faire. » — Marie Demers

Pour Folles frues fortes, dans lequel on peut lire deux de ses textes, elle s’est entourée de plusieurs grandes plumes québécoises, dont Catherine Mavrikakis, Martine Delvaux (qui signe un texte percutant en réponse, pourrait-on dire, à une critique particulièrement virulente du critique littéraire du Devoir, Christian Desmeules) et Marie-Sissi Labrèche, qu’on n’avait pas lue depuis des lustres. Marjolaine Beauchamp, Fanie Demeule, Maude Lafleur, Marie-Ève Sévigny et Katherine Raymond complètent cette bande de fortes têtes qui n’ont pas eu peur de prendre le clavier pour écrire leur colère. « J’aimerais que les lectrices se sentent comprises et appuyées en lisant ces textes, souligne Marie Demers. J’aimerais aussi que certaines personnes se sentent inconfortables, scratchées un peu. »

L’ouvrage sera lancé dans le cadre d’un spectacle-lecture présenté au Quai des brumes, ce soir dès 17 h.

Folles frues fortes

Collectif sous la direction de Marie Demers

Tête première, collection Tête dure

200 pages

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.