Nos classiques revisités

La malédiction du Cassé 

« Tout ce que je vais énoncer ici ne correspond qu’aux rumeurs, à la légende entourant la parution du roman Le Cassé de Jacques Renaud. Aucune enquête n’a été menée de ma part et mes souvenirs, aussi imprécis soient-ils, me serviront uniquement de témoin. Mais je suis persuadé qu’il y a une malédiction du Cassé, au même titre qu’au sujet de la pièce de Shakespeare dont on ne peut prononcer le nom, car il apporte la guigne. 

J’ai lu Le Cassé dans le cadre de mon cours d’introduction à la psychanalyse, à l’UQAM dans les années 90. Mon professeur d’alors, Simon Harel, grand fan de l’œuvre, nous en avait parlé en des termes élogieux. Réticent au premier abord, d’une réticence intuitive et curieuse, je suis entré avec fougue dans l’univers de ce fou au tournevis qui n’a plus un rond et se débat dans la société qui l’ostracise. Je ne pourrais en dire plus. La trame narrative s’est étiolée dans mon esprit. Toutefois, un vif souvenir de la violence du récit et de l’expression adéquate de la retransmission de la langue parlée persiste.

Plus tard, j’ai eu la chance de travailler dans l’édition avec des gens qui avaient connu Jacques Renaud. Nombre de fois ils m’ont parlé de son désarroi post-Cassé, de la peine qui s’était emparée de lui après le succès de son livre. On raconte qu’il claironnait être l’auteur du Cassé, qu’il s’était même désigné comme tel à une libraire inculte qui ne le connaissait pas. Amer, il s’est ensuite plongé dans l’ésotérisme, a créé une maison d’édition ésotérique qui n’a pas reçu l’accueil escompté et a été rachetée par un autre éditeur.

Premier roman qui revendique le joual, publié en 1964, oublié par la mémoire collective qui lui a préféré l’œuvre de Tremblay, Le Cassé est une œuvre sulfureuse qui n’a pas fini de semer le désarroi et la malédiction, partout où elle rencontre ses lecteurs. »

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