Une journée avec ...

Richard Bergeron
Le combattant

Ils sont quatre et ils s’affrontent pour devenir maire de Montréal. Ils ont un parti, une équipe, un programme. Mélanie Joly et Marcel Côté se lancent en politique pour la première fois, Denis Coderre est un vétéran de la scène fédérale et Richard Bergeron connaît tous les recoins de l’hôtel de ville de Montréal où il ronge son frein dans l’opposition depuis huit ans. Notre chroniqueuse Michèle Ouimet les a suivis pendant une journée, de l’aube à la nuit, sans les lâcher d’une semelle. En métro, en BIXI, en auto et à pied. Aujourd’hui, Richard Bergeron. 

6 h 03 Trop tôt le matin 

Il fait encore nuit. Richard Bergeron ouvre la porte de sa maison et me regarde, le visage fermé. « Vous êtes de bonne heure ! »

L’homme n’est pas matinal. 

Il est habillé chic : pantalon et veston foncés, chemise d’un blanc impeccable, cravate rouge. Il ne manque que les souliers. Il s’assoit sur un banc dans l’entrée aux murs rouges et enfile ses chaussures, puis il grimpe au deuxième et s’installe dans la cuisine bleu foncé. Sur la table, un livre ouvert à la page 200. La comédie humaine de Balzac, œuvre-fleuve en quatre tomes ; 1200 pages par tome. 

« C’est ma lecture entre deux livres », explique Richard Bergeron. 

Il aime le silence. Pas de télévision ou de radio, à moins d’écouter un programme en particulier. « La paix, dit-il. J’aurais fait un bon ermite. »

Il est contrarié, car les journaux n’étaient pas à sa porte ce matin. « C’est un drame. Ha ! J’aime pas ça ! » 

Il se lève, ajuste son veston, descend les marches et sort dans la rue. Il demeure rue De La Gauchetière, à deux pas de l’immense chantier du CHUM. Il fait beau, l’air est frais, le ciel immaculé. M. Bergeron marche d’un pas souple vers le studio de télévision Global, situé rue Sainte-Catherine près de Peel.

Richard Bergeron sourit peu. Il le sait. « Tout le monde me le dit, ma femme, mon chef de cabinet, mon équipe. » 

— Ça vous énerve ? 

— Oui, ça me tombe sur les nerfs.

Il n’a pas le trac même s’il doit faire la météo devant les caméras, comme les trois autres candidats. En anglais, une langue qu’il maîtrise mal. Et à 7 h du matin. 

« Je ne connais pas le trac, explique-t-il. Le soir des élections en 2009, j’étais parfaitement zen, même si je ne savais pas ce que j’allais dire. Et j’ai été génial ! »

Il s’engouffre dans l’immeuble de Global et se retrouve dans un studio aux murs vert fluo en train de jouer les miss météo. En souriant.

8 h L’homme de peu de sous 

Richard Bergeron prend le métro. Il a oublié sa carte Opus chez lui. Son attachée de presse paie son billet. Richard Bergeron n’a pas d’argent, il se promène toujours sans un sou dans les poches. 

— Comment faites-vous pour acheter un café ?

— Je bois celui du bureau. Il est dégueulasse, mais c’est gratuit. Je suis content quand je ne dépense pas une cenne dans ma semaine. Ça arrive presque tout le temps.

Il dîne chez lui. Il vit tout près de l’hôtel de ville. 

— Deux fois par année, je mange au Complexe Desjardins, dans l’aire de la restauration rapide, ajoute-t-il. Je dépense un gros 9 $. Après, je m’en veux d’avoir été déjoué par le système de consommation.

— Êtes-vous proche de vos sous ? 

— Êtes-vous en train de me demander si je suis grippe-sou ?

— Heu… oui. 

— Chez nous, on n’attache aucune importance à l’argent. J’ai déjà dépensé 2069 $ pour une lampe Art déco. Un coup de cœur. 

Dans le métro, Richard Bergeron ne va pas au-devant des gens pour leur serrer la main. Il reste dans sa bulle. Rue Laurier, dans Le Plateau, fief de Luc Ferrandez, il marche plus vite que les autos coincées dans un bouchon. Un automobiliste courroucé le reconnaît et le hèle. 

— Quand vous allez être élu, allez-vous changer ça ? lui demande-t-il. 

— Non ! répond Bergeron. Je suis d’accord avec Ferrandez ! 

— C’est de la dictature verte ! 

— C’est vous qui polluez avec votre auto ! 

Bergeron continue son chemin, laissant en plan l’automobiliste frustré. 

Richard Bergeron en veut encore aux journalistes qui ont crucifié Ferrandez lorsqu’il a changé le sens des rues. « Ç’a été très dur pour lui. Les médias ont quasiment eu sa peau. […] Quand sa femme sortait avec le bébé, des gens la traitaient d’ostie de salope et lui crachaient dessus. »

14 h L’homme qui aime discuter

Richard Bergeron est assis en avant de la voiture du côté passager. Son chef de cabinet, Joël Simard-Ménard, est au volant. Direction : Pierrefonds-Roxboro, que Bergeron espère remporter.

Les deux hommes se connaissent par cœur. Ils discutent, s’obstinent, argumentent. Ils travaillent ensemble depuis quatre ans. 

Joël Simard-Ménard essaie de calmer l’ardeur de son chef. Lorsque Bergeron apprend que Québec s’apprête à ajouter des stations de métro, il s’agite. La ligne bleue dans l’est de la ville, oui. Mais des rumeurs parlent aussi de la ligne jaune sur la Rive-Sud. Bergeron s’énerve. « C’est complètement absurde ! » 

« Attendez de voir les plans avant de bitcher », lui dit Joël Simard-Ménard. 

Les deux hommes ont une entente tacite : Joël Simard-Ménard n’allume pas la radio, mais en échange, Richard Bergeron ne critique pas sa conduite. 

Richard Bergeron rêve la ville : l’ouvrir sur le fleuve, la soulager du trop-plein des autos qui l’étouffent, implanter des tramways. Il a hâte d’être au pouvoir. Il a détesté ses huit années dans l’opposition.

« C’est pas le fun, être dans l’opposition, la maudite opposition. On est toujours négatif, toujours en train de s’opposer. C’est hyper méga-frustrant de voir toutes les conneries de l’autre qui gagne parce qu’il est majoritaire. Et quand on propose quelque chose, on perd. C’est humiliant. »

En 2009, le pouvoir lui a échappé. Il s’était jeté dans la campagne électorale tête baissée, comme un « amateur ». Il sourit en repensant au rythme fou. 

« On n’avait pas d’organisation. Il fallait tout faire : la sélection des candidats, les dépliants, les pancartes, la campagne locale, celle de la ville. On était quatre ou cinq pour tout faire. C’était démentiel, écrasant. » 

Joël Simard-Ménard est arrivé dans le décor 10 jours avant le vote. Ce jour-là, Bergeron passait à l’émission Tout le monde en parle. Au lieu de prendre la journée pour se préparer, il avait donné deux points de presse, une entrevue aux Francs-tireurs et participé à un débat sur la culture. 

« On faisait ça de bon cœur, conclut Bergeron, mais c’était amateur à mort. » 

Cette année, il met toutes les chances de son côté. Son directeur de campagne, Raymond Guardia, a travaillé pour le Nouveau Parti démocratique (NPD) au Québec. C’est un des artisans de la vague orange. Il est avec Projet Montréal depuis huit mois. 

19 h L’impatient

Richard Bergeron tire sur sa cigarette. Il essaie d’arrêter depuis un mois et demi. Il ne veut pas que le photographe de La Presse le prenne en train de fumer. 

Sa journée n’est pas finie. Le soir, il se rend au technopôle Angus, où Christian Yaccarini, président de la Société de développement, doit dévoiler un plan d’aménagement pour les terrains vacants. Tout Montréal s’y trouve, y compris les adversaires de Richard Bergeron, Mélanie Joly et Marcel Côté. Les trois se retrouvent au premier rang, assis côte à côte. 

Le discours de Yaccarini est interminable. Marcel Côté s’endort, Bergeron s’impatiente. Il finit par partir avant que Yaccarini ait fini.

Il se moque de Yaccarini qui s’est enlisé dans des microdétails. « Il nous disait : voici un bouton à quatre trous. Maintenant, je vais vous parler de chaque trou », ironise-t-il. 

Richard Bergeron ne s’enfarge pas dans la compassion. Le lancement raté de Denis Coderre ? « C’est bon pour moi, dit-il. Je suis en politique. Si un adversaire glisse et se fait mal, ça ne me fera pas de peine. » 

Richard Bergeron n’a pas la langue dans sa poche. Et il n’a pas peur de déranger. « Tout ce que j’ai fait avant de devenir chef de Projet Montréal, c’est défoncer la baraque. J’ai poussé à l’extrême limite les boîtes pour lesquelles j’ai travaillé. » 

Il a l’intention de faire la même chose pour Montréal. S’il peut en finir une fois pour toutes avec l’opposition. 

Fiche:

Nom : Richard Bergeron

Âge : 58 ans

Nom du parti : Projet Montréal

Nombre de candidats : 103 sur 103

Début de la journée : 6 h 05

Fin : 20 h

Moyens de transport utilisés pendant la journée : métro, auto. 

Endroits visités : Plateau, centre-ville, Rosemont, Pierrefonds-Roxboro.

Slogan : Intégrité, compétence, audace. 

Directeur de campagne : Raymond Guardia, artisan de la vague orange du NPD. 

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