Environnement

Le coût environnemental des fringues

Le saviez-vous ? Vos t-shirts et robes en rayonne ou modal sont fabriqués à partir de fibres végétales. Souvent décrits comme écoresponsables, ces textiles ne seraient pas tous aussi inoffensifs qu’on le croit… Particulièrement lorsqu’ils proviennent de coupes réalisées dans des forêts anciennes, ce qui menace certaines espèces fragiles.

L’organisation environnementale Canopée a un nouveau cheval de bataille : la sensibilisation aux coupes forestières faites pour l’industrie textile. « C’est assez récent que nos recherches démontrent que des forêts sont utilisées pour fabriquer des textiles. Nous avons donc lancé une campagne afin de sensibiliser les consommateurs, mais aussi les designers de mode et les grands détaillants, au fait que les arbres des forêts menacées comme la forêt boréale ou la forêt tropicale indonésienne peuvent entrer dans la fabrication de leurs vêtements », explique Mélissa Filion, directrice de Canopée pour le Québec.

Lancée simultanément à New York, Los Angeles, Vancouver et Montréal à la fin de 2013, cette campagne est encouragée par d’importants acteurs nord-américains du vêtement comme Eileen Fisher, Quiksilver, Patagonia et lululemon athletica, en plus d’être appuyée par une quinzaine de designers, dont les Québécois atelier b, Oöm Ethikwear et Kollontaï.

Une pratique méconnue

Car si le phénomène est méconnu des consommateurs, il l’est tout autant des détaillants, dont plusieurs ignoraient tout de la problématique.

« Lorsque Canopée a sondé Quiksilver, nous avons été surpris et savions qu’il fallait agir. Probablement que la plupart des consommateurs n’ont aucune idée du coût dévastateur des vêtements qu’ils achètent et de leur impact sur la survie d’espèces menacées et de forêts anciennes. Ils seraient probablement choqués de savoir que leur blouse en rayonne pourrait contribuer à l’extinction des orangs-outangs de la forêt indonésienne! », raconte Rochelle Webb, vice-président pour le service marketing de l’entreprise.

« Bien sûr, nous savions que la rayonne et le modal, par exemple, venaient de la pulpe de bois, mais nous n’avions pas réalisé que cette pulpe pouvait provenir de forêts anciennes. Ce fut un choc pour nous! », lance Amy Hall, directrice du service de la conscience sociale pour Eileen Fisher.

Des solutions à imaginer

La campagne lancée par Canopée ne vise pas que la sensibilisation ; elle appelle aussi à l’action. Si le phénomène est encore marginal, alors qu’à peine 5 % des produits forestiers servent à la production textile, il devrait connaître une forte progression dans les années à venir étant donné la demande grandissante pour ce type de textile, qui est entre autres générée par la hausse du prix du coton.

« L’industrie de la pâte chimique prévoit une expansion vraiment agressive ; on évalue que la demande augmentera de 112 % au cours des 40 prochaines années, affirme Mme Filion. Le problème pourrait s’intensifier grandement si rien n’est fait pour renverser la tendance. »

Les entreprises associées à la campagne ont donc commencé par mettre sur pied une politique d’achat afin d’améliorer la traçabilité des matières qu’elles utilisent – et, du même coup, permettre aux consommateurs de faire un choix éclairé. Eileen Fisher, par exemple, travaille à un projet cartographique d’envergure pour mieux définir sa chaîne d’approvisionnement.

Une chaîne d’approvisionnement fort complexe, qui peut être difficile à percer pour de petits designers, souligne Anne-Marie Laflamme, une des deux têtes créatrices d’atelier b. « Un de nos plus grands défis est le manque de transparence des fournisseurs, qui peuvent manipuler l’information en nous disant, par exemple, que leur lyocell vient de retailles d’eucalyptus… tout en omettant d’indiquer que cette plante provient peut-être d’une forêt protégée ou menacée! Pour le moment, c’est impossible pour nous de le savoir avec certitude. »

En plus d’avoir mis en place une politique d’achat en encourageant ses fournisseurs à mieux comprendre leur chaîne d’approvisionnement, Quiksilver a décidé d’aller plus loin en appuyant la recherche et développement de la viscose recyclée.

Autre solution : fabriquer des textiles à partir de résidus agricoles. « Le lin ou d’autres types de plantes qui sont cultivées à grande échelle vont produire des résidus – une “paille” – dont une grande partie va être tout simplement rejetée. Pourquoi ne pas l’utiliser pour la transformer en papier ou en textile? », suggère Mme Filion. Une solution de rechange novatrice qui a déjà servi à fabriquer des livres et des magazines, et qui est actuellement en recherche et développement pour le textile.

Abolir les fibres d’origine végétale?

La campagne de Canopée fait des forêts menacées sa priorité. Mais qu’en est-il des coupes forestières ailleurs sur le globe? Faut-il également s’en préoccuper?

Eileen Fisher admet envisager la possibilité d’éliminer complètement ce type de textiles à long terme. « La solution serait peut-être de trouver carrément de nouvelles sources d’approvisionnement. Mais pour le moment, nous pouvons commencer par utiliser des fibres végétales plus écoresponsables, comme le Tencel », suggère Mme Halo.

Pour Anne-Marie Laflamme, les textiles plus écoresponsables sont une option intéressante. « On dit souvent que les fibres cellulosiques ont peu d’impact sur l’environnement, ce qui est vrai dans la mesure où les fournisseurs respectent les normes forestières. Nous n’allons pas arrêter d’utiliser du Lyocell, car c’est un produit non toxique qui a moins d’impact sur l’environnement que le coton, même le coton bio. Mais on espère que cette campagne nous permettra d’obtenir davantage de transparence sur la provenance de ces fibres. »

Environnement

Qu'est-ce que Canopée?

Organisation pancanadienne environnementale sans but lucratif fondée il y a une dizaine d’années, Canopée (Canopy en anglais) a pour mission de protéger les forêts, les espèces et le climat en travaillant avec des entreprises d’ici, mais aussi d’un peu partout dans le monde. Elle est reconnue pour ses actions qui ont amené l’industrie de l’impression et de l’édition de livres, de magazines et de journaux à prendre le virage vert. Par exemple, elle a réussi à faire en sorte que la série de livres Harry Potter soit imprimée sur du papier écologique à 100 % recyclé. Des auteurs de renom comme Alice Munroe, Louis Hamelin, Yves Beauchemin et Yann Martel se sont associés par le passé avec Canopée.

Canopée

Définition : étage supérieur de la forêt, directement influencé par le rayonnement solaire et souvent considéré comme un écosystème en soi.

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