Opinion Revenu minimum garanti

Aide directe ou programmes sociaux ?

La mise en place des CPE ou la création d’un parc de logements sociaux auraient-elles été possibles si l’État avait choisi de verser de l’argent aux citoyens afin qu’ils se procurent ces services au privé ?

Un des choix fondamentaux à la base de tout projet de revenu minimum garanti universel et inconditionnel, aussi appelé allocation universelle, consiste à privilégier la redistribution des ressources publiques par le versement d’une allocation en argent. Car pour plusieurs promoteurs d’une telle mesure, une telle allocation augmenterait de manière importante la liberté de choix des citoyennes et des citoyens.

Rappelons que notre filet de sécurité sociale et économique se déploie à travers une panoplie de mesures de redistribution des revenus visant chacun des objectifs particuliers, mais aussi à travers un accès universel et gratuit ou quasi gratuit à plusieurs biens et services essentiels (services de garde éducatifs, éducation préuniversitaire, services sociaux et de santé, logements sociaux, etc.). Si plusieurs promoteurs de l’allocation universelle ne remettent pas en question la pertinence de cette forme de distribution en nature, ils n’envisagent aucunement son extension et certains proposent même de remplacer l’accès à des soins de santé et à des services sociaux par l’allocation universelle. Ces derniers justifient le versement de prestations en argent plutôt qu’en nature en faisant valoir le supplément de liberté individuelle qu’il procurerait, particulièrement la liberté d’acheter ces biens et services sur le marché privé.

Cependant, cette position n’est pas sans soulever des interrogations importantes.

D’abord, on peut raisonnablement se demander si, dans plusieurs situations, les libertés individuelles ne seraient pas mieux servies à plus long terme par le maintien et le développement de services en nature universels et gratuits : plus de services sociaux pour la lutte contre  la toxicomanie, la prostitution ou la violence familiale ; de meilleurs services de santé et d’éducation ; des investissements dans le logement social, dans les soins à domicile ; des investissements dans des services de garde de qualité ; l’instauration d’un régime d’assurance dentaire, un régime universel d’assurance médicaments, etc. 

Que peut bien valoir la liberté individuelle d’une personne aux prises avec des problèmes de pauvreté et d’exclusion ? L’allocation universelle lui rendra-t-elle seule cette liberté ?

Ensuite, le versement d’une telle allocation monétaire ne minerait-il pas la capacité de la société de développer et de mettre en œuvre des solutions collectives pour répondre à des besoins qui concernent des parties ou l’ensemble de la société ? Par exemple, la mise en place d’un réseau de centres de la petite enfance au Québec aurait-elle été possible si l’État s’était contenté de verser aux parents une allocation leur permettant d’acheter sur le marché le type de service de garde qu’ils privilégient ? De même, notre parc de logements sociaux formé d’OBNL, de coopératives et de HLM existerait-il si, au lieu de développer une offre de logements sociaux grâce au programme AccèsLogis Québec, par exemple, l’État s’était limité à verser des suppléments au loyer afin de permettre aux plus démunis de louer un logement dans le secteur privé ?

Cela étant dit, il y aura toujours un arbitrage à faire entre les libertés individuelles et le bien-être collectif. Il faudra donc s’assurer que tout projet d’allocation universelle permettra toujours de faire des choix collectifs qui vont dans le sens du bien commun.

* François Aubry est l’auteur de L’allocation universelle, fondements et enjeux, CSN, 1999.

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