Promouvoir l’étalement urbain à crédit

L’émission Enquête du 21 octobre dernier révélait que la municipalité de Saint-Lin–Laurentides était aux prises avec un problème d’approvisionnement en eau. Les puits, qui alimentent le réseau d’aqueduc, ne suffisent pas à satisfaire une demande croissante engendrée par la multiplication des projets résidentiels. C’est que la population de la municipalité, qui était de 12 379 habitants en 2001, est aujourd’hui d’un peu plus de 23 000 habitants.

Cette croissance est attribuable au fait que l’étalement urbain, loin d’avoir pris fin, déborde désormais le périmètre de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM). Les causes de cette dynamique sont multiples. Le coût d’accès à la propriété y est certes pour beaucoup. Chez nos voisins du Sud, l’adage « drive until you qualify » traduit bien la situation dans laquelle se trouvent bien des ménages qui doivent se résigner à s’éloigner de plus en plus pour être en mesure d’acquérir une résidence à un coût qui convient à leur capacité d’emprunt.

Mais le report des développements résidentiels à des distances croissantes du cœur de l’agglomération s’explique également par la déconcentration de l’emploi qui a cours depuis plusieurs décennies. Les données les plus récentes montrent en effet que les déplacements à des fins de travail internes aux banlieues de la région métropolitaine ont connu une augmentation importante et qu’un nombre non négligeable de ceux-ci concerne désormais des municipalités hors CMM.

Fondée à hauteur de quelque 70 % sur l’impôt foncier, la fiscalité municipale y est aussi pour une part non négligeable. La part relative de l’impôt foncier au regard des revenus galvanise en quelque sorte la propension des municipalités à accueillir de nouveaux développements, peu importe, trop souvent, leur viabilité à court terme. Cette approche peut avoir des conséquences fâcheuses sur les finances municipales et sur les avenues de développement privilégiées.

Le cas de Saint-Lin–Laurentides l’illustre. Faute d’avoir mesuré les conséquences de la frénésie immobilière, notamment sur la consommation d’eau, et en raison de la volonté de contenir le fardeau fiscal des propriétaires, la municipalité ne s’est tout simplement pas donné les moyens de s’attaquer au problème. Aussi doit-elle, aux dires même du maire, accueillir de nouveaux développements pour couvrir les coûts d’amélioration du réseau d’aqueduc.

En d’autres termes, les nouveaux résidants devront payer une partie de la facture des travaux requis pour corriger un problème dont ceux qui les ont précédés sont en partie responsables, même si c’est à leur corps défendant.

Dans un texte publié en 2013 dans un ouvrage collectif qu’il dirigeait − Rêver Montréal : 101 idées pour relancer la métropole −, François Cardinal soutenait que cette pratique, au demeurant fort répandue, s’apparentait à une chaîne de Ponzi, du nom du stratagème frauduleux inventé par Charles Ponzi dans les années 1920. Dans sa version originelle, le montage consiste à rémunérer les placements des investisseurs déjà impliqués en leur versant les fonds recueillis auprès d’investisseurs nouvellement recrutés. Le système est évidemment condamné à l’effondrement.

Cette allusion à la chaîne de Ponzi n’avait rien d’anecdotique. De nombreuses recherches menées aux États-Unis ont en effet montré qu’un mécanisme apparenté préside depuis plusieurs décennies à la production de la banlieue. L’accueil de nouveaux résidants-contribuables vise à faire payer par ces derniers une partie de la facture qui aurait dû être refilée aux cohortes précédentes. La mécanique est toutefois rapidement susceptible de s’enrayer en raison, soit de la saturation du territoire municipal, soit de la vive concurrence que les municipalités se livrent entre elles et qui se traduit par l’ouverture de nouveaux périmètres d’urbanisation dans des municipalités qui entendent avoir leur part de gâteau.

Or, cette dynamique est encouragée par les interventions du gouvernement québécois qui subventionne régulièrement de nombreux travaux qui n’ont pas été budgétés par les municipalités ou ont été sciemment omis pour ne pas accroître les charges fiscales et ne pas nuire à l’attractivité municipale.

Cette désinvolture avec laquelle plusieurs municipalités « planifient » leur développement explique pourquoi les analyses de viabilité des projets immobiliers qui prennent en compte l’ensemble des coûts du développement n’ont guère la cote dans bon nombre d’administrations municipales.

Au moment où la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation convie les Québécois à s’impliquer dans un vaste chantier visant l’élaboration d’une stratégie nationale d’urbanisme et d’aménagement du territoire, il serait utile de ne pas perdre de vue cette réalité. Si la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, adoptée il y a quarante ans, doit être « modernisée », il serait pour le moins inconvenant d’attribuer à sa désuétude ce qui relève plutôt d’une vision du territoire et d’une conception du développement dont on s’accommode trop facilement, malgré les effets pernicieux connus de l’une et de l’autre.

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