OPINION

FRANCOPHONIE CANADIENNE Offrir le poids de notre nombre

Récemment, dans la foulée du report de l’Université de l’Ontario français, les Québécois ont manifesté un appui bien senti envers leurs concitoyens franco-ontariens.

Le premier ministre Legault a exprimé son soutien au nom de tous les Québécois, une motion unanime des députés de l’Assemblée nationale a été adoptée et, pour la première fois, le drapeau franco-ontarien flottait sur la colline Parlementaire à Québec.

On se souviendra que la fermeture de l’hôpital Montfort en 1997 avait aussi eu une résonance au Québec. Mais cette fois-ci, on a l’impression d’une solidarité retrouvée 50 ans après les « États généraux » qui tracèrent une ligne de démarcation entre l’identité « québécoise » et « canadienne-française ». Tout à coup, on renoue avec le mot « ensemble » sans que cela nie notre identité québécoise.

Sommet de la francophonie canadienne

Pour la première fois en 50 ans, un sommet de la francophonie canadienne comprenant le Québec est envisagé et pourrait se tenir en 2020. Il faut saluer cette initiative et féliciter le gouvernement du Québec d’y apporter sa contribution. Ce sera une occasion de redécouvrir ce que nous partageons et ce que nous pouvons faire ensemble.

Le président de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) qui promeut cette idée indique, à juste titre, l’importance d’insister sur le rôle du français comme avantage pour tous les Canadiens.

À l’évidence, malgré les progrès tangibles des dernières décennies, les reculs récents en francophonie illustrent encore une fois la nécessité de réaffirmer la pertinence de la dualité linguistique.

Il faudra bien reconnaître un jour que nos écoles du Canada échouent à instruire les jeunes des leçons, blessures et succès de l’histoire commune de nos deux communautés linguistiques. Le désintérêt ou le tabou de discuter d’identité canadienne ne favorisent pas la compréhension mutuelle. Linda Cardinal de l’Université d’Ottawa note que le bilinguisme est vu par plusieurs anglophones comme un accommodement envers les francophones. Pourtant, notre dualité linguistique est un avantage pour tous les Canadiens, peu importe la langue qu’ils parlent.

Explosion démographique

Nous sommes aujourd’hui 275 millions de francophones dans le monde. Selon l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), nous serons près de 700 millions en 2050, une explosion démographique phénoménale. L’OIF regroupe 84 pays et régions membres et parmi ceux-ci, on retrouve 13 des 27 États membres de l’Union européenne, avec laquelle nous venons de conclure un accord de libre-échange. On aurait tort de penser que l’anglais est la seule langue des affaires. À preuve, la Chine fait du français un des vecteurs de pénétration sur le continent africain. La pertinence économique de la dualité linguistique est évidente.

Le français est avec l’anglais la seule langue parlée sur les cinq continents. Le français est la langue étrangère la plus enseignée dans le monde après l’anglais. L’Agence universitaire de la francophonie compte 804 établissements dans 102 pays. Au moyen de cette agence, créée au Québec en 1961, se constituent des réseaux scientifiques et d’innovation qui façonnent l’avenir du monde.

Le Canada, avec ses deux langues officielles et ses deux communautés linguistiques, détient un avantage que peu de pays ont la chance d’avoir.

Il a une fenêtre sur le monde anglophone et une fenêtre sur le monde francophone. Nous devrions ouvrir toutes grandes ces fenêtres ; il en va de notre progrès économique, social, culturel et diplomatique.

Au contraire de la perception trop répandue, le bilinguisme n’est pas un simple accommodement pour les francophones, c’est un avantage pour tous les Canadiens. D’ailleurs, de plus en plus de gens le reconnaissent. La perception favorable des Canadiens à l’égard du bilinguisme, qui s’établissait à 51 % en 1977, s’élevait à 88 % l’an dernier, une progression remarquable. Plus concrètement, l’engouement toujours plus grand pour les classes d’immersion témoigne certainement d’une compréhension nouvelle.

Depuis 2014, à l’exception de l’Alberta, tous les gouvernements provinciaux et le Yukon ont signé avec le Québec la « Déclaration portant sur la francophonie canadienne ». Ces déclarations reconnaissent la francophonie comme une caractéristique fondamentale de l’identité canadienne et rappellent son importance pour le Canada de demain.

Les signatures de ces déclarations n’ont pas fait la manchette. Pas plus, d’ailleurs, que la décision des premiers ministres au Conseil de la fédération de fixer une cible d’immigration francophone de 5 % à atteindre à l’extérieur du Québec. Pas plus, non plus, que la décision de l’Ontario d’adhérer à l’OIF. Rappeler ces progrès peu connus, mais néanmoins réels, permet d’éviter le raccourci de tout résumer aux récents reculs.

En somme, le français est une richesse pour tous les Canadiens et l’élan des 50 dernières années n’a pas à s’interrompre devant le choc des récents reculs. Au contraire, ceux-ci nous offrent l’occasion d’une nouvelle solidarité.

L’organisation prochaine d’un sommet de la francophonie canadienne avec la pleine participation du Québec en est certainement un exemple. Cela dit, dans le même sens et sans attendre, nous pouvons nous réunir et choisir de nous donner une voix commune.

Élections fédérales

Les Franco-Ontariens, les Acadiens et toutes les autres communautés réunies autour de la Fédération des communautés francophones et acadienne sont plus dynamiques que jamais. Leur récente proposition d’une refonte majeure de la Loi sur les langues officielles lance un cri de ralliement à l’approche du prochain rendez-vous électoral. Pourquoi ne pas se joindre au mouvement ?

Tous les chefs des partis fédéraux qui feront bientôt connaître leur plateforme électorale doivent saisir l’importance du français dans le choix des électeurs.

Ensemble, huit millions de Québécois, plus de deux millions de francophones au Canada et les très nombreux anglophones à travers le pays aussi convaincus de la pertinence du bilinguisme que désireux de rapprochements au-delà des « deux solitudes », nous pouvons nous réunir, annoncer nos attentes et juger des visions en présence.

Devant l’ampleur du défi et au nom de l’intérêt pour tous les Canadiens de favoriser l’avantage francophone, le Québec peut prendre l’initiative, avec ses alliés de la francophonie canadienne, d’indiquer aux partis fédéraux qu’il est nécessaire de doubler le budget alloué au soutien à la francophonie. Cet investissement massif permettra notamment de renforcer la Loi sur les langues officielles et de fournir aux provinces et aux territoires les incitatifs financiers pour offrir plus de services d’éducation en français et pour accueillir plus d’immigrants francophones.

Dans la foulée des déclarations de l’automne, le premier ministre Legault peut profiter de la rencontre annuelle du premier ministre avec le président de la FCFA pour inviter à cette rencontre les représentants francophones de chacune des juridictions provinciales et territoriales et exprimer, avec eux, les attentes en matière de francophonie canadienne envers les acteurs politiques fédéraux.

Il y a bien des enjeux qui influenceront le vote des citoyens et, au Québec, nous pouvons choisir que parmi ceux-ci, il y ait notre appui sincère aux francophones en situation minoritaire. Cette fois, nous pouvons décider de leur offrir le poids de notre nombre.

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