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Autoriser le don d'organes à 7 ans

L’autocollant qui autorise le don d’organes et de tissus est envoyé aux enfants dont la carte soleil est renouvelée. On leur demande de le signer eux-mêmes – leurs parents n’ont qu’à ajouter leurs initiales. Pourquoi ?

UN DOSSIER DE MARIE ALLARD

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Sérieuse décision à un jeune âge

Demander aux enfants de 7 ans d’autoriser eux-mêmes le prélèvement de leurs organes et tissus s’ils meurent. Étonnamment, c’est ce que fait la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), en exigeant que les enfants signent l’autocollant pour dons d’organes à appliquer au dos de la carte d’assurance maladie. Cet autocollant est envoyé lors du renouvellement de la carte soleil, deux ou trois mois avant leur huitième anniversaire.

Un parent doit aussi apposer ses initiales sur l’autocollant, mais il n’est pas autorisé à signer à la place de son enfant. Pareil pour le Registre des consentements au don d’organes et de tissus : le donneur doit signer pour s’y inscrire, même s’il est mineur.

Au début d’août, Veronica Cruz Gonzalez a reçu par la poste l’avis de renouvellement de la carte soleil de sa fille, âgée de bientôt 8 ans. Dans l’enveloppe se trouvait le formulaire d’inscription au Registre des consentements au don d’organes et de tissus, qui doit être signé par l’enfant et son parent.

Mme Cruz Gonzalez n’en a pas parlé à sa fille. « Je ne sais pas trop comment le faire, surtout qu’elle avait une chirurgie qui s’en venait à ce moment-là, témoigne-t-elle. Rien de grave, c’était une chirurgie de prévention pour une hernie ombilicale. Mais je ne voulais pas l’effrayer. »

Signature à 11 ans pour le passeport

Il faut dire que les jeunes enfants signent rarement des documents, si ce n’est le code de vie de leur école. Pour l’obtention d’un passeport, leur signature n’est pas exigée avant 11 ans. Pour la carte soleil comme telle, ce n’est pas avant 14 ans.

Dans le cas du don d’organes, qui force à aborder des sujets troublants comme la mort et le prélèvement du cœur, des poumons, etc., pourquoi exiger une signature dès 7 ou 8 ans ?

« L’autocollant est intégré au porte-carte d’assurance maladie, alors toute personne recevant une carte reçoit par le fait même l’autocollant, peu importe son âge », répond Caroline Dupont, porte-parole de la RAMQ.

Cela veut dire que même les nouveau-nés reçoivent cet autocollant – à signer eux-mêmes ! – avec leur première carte soleil ? « L’autocollant est envoyé automatiquement avec le porte-carte de la carte d’assurance maladie, réitère Mme Dupont. Bien entendu, un bébé ne pouvant pas signer, c’est au parent ou au tuteur de prendre la décision de donner ou non les organes advenant l’événement douloureux qu’est un décès d’enfant. »

Choisir seulement après la mort

Une fois l’enfant mort, ce sont ses parents qui décident de donner ou non ses organes. Tant qu’il est en vie, ils ne doivent pas signer pour lui, même s’il s’agit d’un nourrisson. Cela n’est toutefois pas mentionné dans l’information envoyée aux familles.

Comme de nombreux parents, Elise Willman a signé elle-même la carte de son fils de 7 ans. « Je n’en ai pas discuté avec lui, plutôt avec son papa », précise-t-elle. Officiellement, cela n’est pas permis.

Quant à la fille de Mme Cruz Gonzalez, elle s’est fait opérer avec succès. Sa mère n’a toujours pas abordé le don d’organes avec elle. « J’y pense, c’est important pour moi, souligne-t-elle. Mais je ne sais pas comment lui en parler. »

« Nous comprenons que la réflexion sur le don d’organes, aussi honorable et importante soit-elle, n’est pas simple, surtout pour un enfant, indique Mme Dupont. Cependant, le consentement au don d’organes est un droit et non une obligation. Votre enfant doit être en mesure de comprendre son geste. S’il n’est pas prêt à faire une telle réflexion, il ne peut être prêt à exprimer son consentement. Personne ne peut le faire à sa place. »

Validité de huit ans

La validité de la carte d’assurance maladie, qui était de quatre ans, a été prolongée à huit ans depuis octobre 2014. Cela veut dire que tous les enfants continuent de recevoir l’autocollant pour don d’organes et le formulaire d’inscription au registre peu avant leur huitième anniversaire. Puis, cela va à leur seizième anniversaire, quoiqu’il soit possible de se procurer un autocollant entre-temps dans les CLSC et hôpitaux.

« Si l’enfant est en mesure de comprendre son geste, soit vers l’âge de 7 ans, et qu’il désire donner son consentement, il doit signer l’autocollant et les parents doivent le parapher », résume Mme Dupont.

Pourquoi ne pas éviter d’envoyer l’autocollant aux enfants plus petits, qui ne peuvent en toute logique pas signer ? « Le porte-carte est universel, fait valoir Mme Dupont. Des frais sont liés au développement et à la gestion de l’envoi d’un porte-carte distinct pour certaines clientèles. Outre ce fait, il a été décidé dès l’instauration du Registre des consentements au don d’organes et de tissus d’inclure l’autocollant dans tous les envois de cartes d’assurance maladie, afin de sensibiliser la population au don d’organes. »

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Comment aborder le sujet

La Dre Marie-Chantal Fortin est néphrologue (médecin spécialiste des reins) à la clinique de transplantation multi-organes du CHUM et mère de trois enfants. Quand elle a reçu l’autocollant autorisant le don d’organes à apposer au dos de la carte d’assurance maladie de son fils de 8 ans, elle n’a pas vu que c’était son garçon qui devait le signer. C’est La Presse qui le lui a fait remarquer.

Le donneur, même s’il a moins de 14 ans, doit signer l’autocollant autorisant le prélèvement de ses organes et tissus à sa mort. Son parent doit ensuite ajouter ses initiales.

« Je l’ai signé moi-même, dit la Dre Fortin. Je n’avais pas réalisé qu’il devait le faire. J’ai tenu pour acquis que je devais signer, comme titulaire de l’autorité parentale. Cela dit, on s’est assis à table et j’ai parlé de don d’organes avec mes enfants. »

Information brève et simple

Comment a-t-elle abordé ce sujet délicat en famille ? « Je leur ai dit : “Vous savez, s’il arrive quelque chose de très grave, que votre cerveau est mort et que vous êtes morts, maman et papa vont avoir énormément de peine. Mais il se peut que les médecins nous demandent si on veut que vos organes aillent à d’autres enfants qui en ont besoin. Des enfants dont les reins ou les poumons ne fonctionnent pas. S’ils n’ont pas une transplantation, ils vont mourir. Qu’est-ce que vous en pensez ?” J’ai insisté sur le fait qu’ils seraient morts, qu’on serait très tristes et que les probabilités sont telles que ça n’arrivera pas. Parce que je ne voulais pas les énerver, non plus. »

L’information transmise aux jeunes « devrait être brève et simple, à un niveau approprié pour l’âge de l’enfant, et devrait donner l’occasion à l’enfant de poser des questions », conseille l’organisme Donate Life California, qui aborde la question sur son site internet.

« Nous recommandons de mettre l’accent sur le message de vie – et sur notre capacité à partager avec les autres, quand nous n’avons plus besoin des parties du corps humain. »

– Donate for Life California

« Une collègue m’a dit que jamais elle ne parlerait de don d’organes avec ses enfants, car ils sont trop anxieux face à la mort, ajoute la Dre Fortin. Il faut adapter notre discours à nos enfants. »

Don d’un bébé de 2 jours

Les valvules cardiaques d’un bébé de 2 jours ont été prélevées, ce qui en fait le plus jeune donneur du Québec. Le plus vieux avait… 88 ans. « C’est le bon état de santé des organes bien plus que l’âge qui détermine si les organes peuvent être greffés », précise l’Hôpital de Montréal pour enfants sur son site internet.

Justin Lefebvre, un garçon de 8 ans retrouvé inanimé dans une piscine de Sherbrooke en juin, a sauvé quatre vies grâce au don de ses organes, a rapporté TVA. Les donneurs de moins de 18 ans sont toutefois très rares : ils étaient à peine quatre en 2016, d’après les statistiques officielles de Transplant Québec.

Un don essentiel

Est-il essentiel d’avoir des enfants parmi les donneurs ? « Oui, répond la Dre Fortin. Un enfant peut recevoir un rein d’un adulte sans problème. Il peut aussi recevoir une portion de foie d’un adulte. Mais dans le cas des autres organes, les dimensions du donneur doivent correspondre à celles du receveur. Il est donc important d’avoir des enfants qui sont donneurs, quand des circonstances tragiques arrivent. »

Statistiques

Donneurs

• 6 donneurs d’organes mineurs en 2017, en date du 27 août.

• Depuis 2012, le nombre de donneurs mineurs varie de 4 à 8 par an, à l’exception de 2014, où il y en a eu 11.

Receveurs

• 16 enfants (moins de 18 ans) ont reçu une transplantation en 2017, en date du 27 août.

• Depuis 2012, le nombre de receveurs mineurs varie de 13 à 19 par an.

En attente

• 14 patients de moins de 18 ans étaient inscrits sur la liste d’attente pour une transplantation, en date du 27 août.

Note : Les dons de tissus, gérés par Héma-Québec, sont exclus de ces statistiques.

Source : Doris Prince, chef du Service des communications et relations publiques de Transplant Québec

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Que vaut la signature d’un enfant ?

Faire signer un enfant de 7 ans, qui souvent écrit encore en lettres détachées, peut surprendre. Que vaut sa signature ? Louise Bernier, professeure agrégée à la faculté de droit de l’Université de Sherbrooke, répond à nos questions.

Est-ce qu’on peut demander à un enfant de signer un document ?

Les mineurs ont un statut particulier en droit : ils peuvent avoir une certaine autonomie juridique selon leur âge, leur capacité de discernement et les actes accomplis. Pour ce qui est du consentement en matière médicale, le seuil de 14 ans est déterminant. Les mineurs de 14 ans et plus pourront souvent consentir seuls à différents soins, traitements et procédures selon les circonstances. 

Par contre, les enfants de moins de 14 ans n’ont pas le même statut. Dans les cas où on leur demandera leur autorisation, celle-ci ne viendra souvent que compléter le consentement légal des parents ou tuteurs et aura pour rôle de valider que l’enfant ne refuse pas ce qui lui est proposé. 

Pour répondre à votre question, demander à un enfant de moins de 14 ans de signer le formulaire de consentement (ce qu’on appelle généralement l’assentiment de l’enfant) contribue à valider que l’enfant ne refuse pas de participer.

À partir de quel âge un enfant peut-il donner son assentiment ?

On se réfère souvent à sa capacité de discernement et à son niveau de maturité. Ça peut varier d’un individu à un autre selon ses expériences de vie, son caractère, son environnement, etc. 

Dans le domaine de la responsabilité civile au Québec, on établit qu’une personne douée de raison peut être tenue responsable de ses actes. Et on considère qu’un mineur sera généralement doué de raison vers l’âge de 7 ans. C’est un autre indicateur utilisé.

Pourquoi faire signer une autorisation de don d’organes à un enfant ?

L’article 43 du Code civil du Québec prévoit la possibilité de consentir au don d’organes pour les enfants de moins de 14 ans, avec le consentement de leur parent ou tuteur. À mon sens, cette démarche peut servir d’amorce à une discussion familiale sur le sujet, lorsque le parent jugera que l’enfant est suffisamment mature et prêt émotivement pour aborder cette question délicate.

Apposer l’autocollant autorisant le prélèvement d’organes au dos de sa carte d’assurance maladie ne fait pas en sorte qu’on est automatiquement candidat au don d’organes quand on meurt ?

Le fait qu’une volonté de donner ses organes ait été consignée par le donneur potentiel, c’est significatif. En situation critique, on vérifie d’abord si un tel consentement a été consigné. Ce consentement a une valeur certaine qui doit, selon le Code civil, être respectée, sauf motif impérieux. 

Mais comme le don d’organes entraîne des procédures et délais supplémentaires et qu’il survient dans un contexte clinique particulier, on implique les proches du donneur. Avant d’entreprendre le processus, on demande également une autre autorisation plus détaillée du représentant légal du donneur. 

D’autres modèles de consentement existent dans différents pays. Par exemple, en France, le Code de la santé publique établit que le consentement au don d’organes est présumé. Les proches ne doivent qu’être informés du choix présumé du défunt et de la procédure afférente. Le consentement présumé est également prévu dans plusieurs autres pays comme la Belgique, l’Espagne, le Portugal et la Norvège. En Alberta et en Floride, on exclut explicitement les proches du processus lorsqu’il existe déjà un consentement anticipé du défunt.

Note : Les propos de Mme Bernier ont été édités.

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