Série designers en exil

L’eldorado de Mélanie Saucier

En conclusion de notre série d’entretiens avec des créateurs québécois en exil, rencontre avec Mélanie Saucier, designer industrielle transplantée dans le nord de la Californie, qui se décrit avec justesse comme une créatrice pragmatique.

En 2010, Mélanie Saucier, designer industrielle, venait d’accoucher de son deuxième fils lorsque son conjoint qui travaille dans le milieu médical a reçu une proposition pour bouger. Direction : Toronto ou… Tulsa, Oklahoma. Pour Mélanie, alors âgée de 34 ans, cette opportunité accueillie à bras ouverts incarnait la première perle de ce qu’elle espérait être un chapelet d’explorations de même nature. Ceci dit, un iota d’insécurité et un manque d’attrait pour l’État voisin du Texas ont vite fait de Toronto la première ville élue.

Avec dans sa besace un bac en design environnemental et une quinzaine d’années d’expérience dans l’industrie du design de produits, en création d’intérieurs et en conception graphique, la jeune femme à l’esprit utilitaire, s’avouant « limite workaholic », a fait de ce changement de cap une occasion de se redéfinir.

« Dans un projet de design industriel, explique-t-elle, chaque partie concernée – l’ingénierie, la production, le marketing, les finances, les fournisseurs et le client – cherche à défendre son point et à gagner du terrain. Ce n’est pas dans ma nature d’imposer coûte que coûte, ce qui fait que j’ai souvent été celle qui propose le bon compromis au bon endroit pour trouver des solutions ralliant tout le monde, autant que possible. »

Cette aptitude à l’accommodement, si elle lui a permis de générer des produits aussi soucieux d’une esthétique que des bénéfices qu’ils apportent aux consommateurs, a aussi doucement fait grandir en elle l’envie d’un contrôle plus étroit sur l’ensemble d’un projet, de sa création jusqu’à sa livraison, soit tout le contraire de ce que propose le service manufacturier.

Objets pratiques

« J’ai eu envie de réduire la somme des contraintes, confie-t-elle, d’entreprendre une démarche créative plus artisanale et de produire des articles toujours accessibles, mais qui, au final, se rapprochent davantage de leur idée de départ. »

Aussi Mélanie a-t-elle démarré à Toronto une petite entreprise répondant à cette aspiration tout en se faisant aussi indépendante que possible de son lieu de résidence. « Tout est parti de la photographie, un média qui me passionne. En apprenant à imprimer sur tissu dans un atelier de Toronto, j’ai conçu une gamme d’objets pour la maison – des sacs, des coussins, des sous-verres – offerts à la vente en ligne. »

La boutique a été lancée au début de 2012. Les choses allaient bon train, et paf ! son amoureux a reçu une seconde proposition. Destination : El Dorado Hills, en Californie, pas très loin de San Francisco et encore moins de Sacramento. Plus stimulant que Tulsa, finalement.

Détachement

« Le choc linguistique et culturel de la transplantation, raconte Mélanie, c’est dans la transition vers Toronto qu’il s’est fait sentir. Une fois aux États-Unis, le détachement était bien amorcé. La vente de notre maison de Québec a certainement contribué à donner au déplacement un caractère plus permanent, même si la Californie, pour nous, ne représentait qu’un passage. »

La vérité, c’est qu’espérant être installés plus près de San Diego, de San Francisco ou même de la Silicon Valley, ils ne s’attendaient pas à aimer autant l’endroit. Autre surprise, moins bonne celle-là : le visa qui permettait au conjoint de travailler n’accordait pas à Mélanie le même privilège. La boutique a donc dû cesser temporairement ses activités. Mélanie est donc en processus d’obtention d’un visa pour reprendre ses activités et un partenariat avec une consœur californienne flotte dans l’air.

La suite ? Questionnée sur un hypothétique retour au Québec, la jeune femme au sourire facile hausse les sourcils et opine du bonnet en guise de réponse. Elle pense avant tout continuer d’explorer la Californie, et puis après, apprivoiser l’Europe, dans quelques années, si tout va bien.

Consultez le site de melaniesaucier.com

Mélanie Saucier sur…

… La conviction

« C’est important pour moi que les produits sur lesquels je travaille soient facilement accessibles. Je suis fière quand je vois les gens sortir d’un Rona avec un produit de masse que j’ai créé. »

… L’anecdote

« Quand le déménageur a vu que j’apportais une pelle à neige en Californie, il m’a dit : "M’am, I think you won’t need this." Je l’ai prise quand même. C’est une pelle traîneau multifonctionnelle que j’ai dessinée pour Garant, une entreprise familiale québécoise. »

… La transition

« Quand on se met en situation de retranchement par rapport à son réseau social et professionnel, on n’a pas le choix de se redéfinir. Surtout quand la nouvelle réalité se résume à être maman à la maison. Je me suis sentie un peu emprisonnée. »

… Le gain

« Le climat, en Californie, c’est un gain évident. Le fait de pouvoir se rendre à San Francisco à l’intérieur d’une journée et de rentrer dans le calme de notre environnement, ce n’est pas mal non plus ! »

… Le bémol

« J’ai beaucoup de mal avec l’amour des Américains pour les armes à feu. Avant de permettre à mes enfants d’aller chez des amis, je dois m’informer auprès des parents si leurs fusils sont bien hors de portée. »

… Le Québec

« Je ne m’ennuie pas tellement du Québec. Des gens que j’aime, un peu, mais on se parle souvent. Je ne peux pas dire que je souffre du syndrome de l’expatriée. »

… La prochaine escale

« J’aimerais un jour vivre le design italien et allemand. Ça me sortirait pas mal de ma zone de confort, mais j’aimerais travailler dans des pays où le design est d’emblée mieux accepté et mis en valeur. J’ai commencé à étudier l’italien ! »

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