Chocolat

La demande explose,
les prix s’emballent

L’augmentation du prix du cacao sur les marchés mondiaux ne se fait pas encore sentir à l’achat de lapins et autres cocos de Pâques en magasin. Mais les consommateurs auraient peut-être intérêt à faire quelques réserves, car ils paieront plus cher leurs friandises chocolatées d’ici l’été.

L’ampleur de la hausse n’est pas encore connue, mais elle est inévitable : le prix du cacao, négocié à la Bourse de New York, a bondi de 42 % depuis un an. Les grands chocolatiers ont absorbé l’augmentation jusqu’à maintenant, mais ils se préparent à la refiler aux consommateurs.

« La [hausse] ne s’est pas encore reflétée sur le prix des produits en magasin pour Pâques, puisqu’ils sont négociés depuis plusieurs mois, explique Hélène Bisson, porte-parole de Jean Coutu. Mais Mondelez, propriétaire de Cadbury, nous a annoncé une hausse de prix pour juin, sans nous dire de combien. »

« En raison de l’augmentation de nos coûts de production et de distribution, nous devrons majorer les prix de nos produits qui seront mis en marché pour Noël prochain », a fait savoir, par courriel, la porte-parole de Nestlé Canada, Selena Fiacco.

« Ça prend quelques mois avant de frapper les consommateurs, parce que les achats se négocient à l’avance, mais le chocolat se vendra plus cher pour l’Halloween et Noël prochains, » confirme aussi Jean Leclerc, PDG de Laura Secord.

« Il y a une forte pression sur nos marges de profit », confie Jean-Jacques Berjot, directeur des ventes pour le Canada de Barry Callebaut, le numéro un mondial du chocolat, qui emploie 500 personnes à son usine de Saint-Hyacinthe, la plus grosse au pays. « Nous sommes aussi désavantagés par d’autres facteurs, comme les coûts de change et la hausse des prix d’autres ingrédients, comme le sucre et la poudre de lait. »

Les grands chocolatiers semblent avoir été réticents à majorer leurs prix jusqu’à maintenant. Chacun surveille ce que fera la concurrence. Tous les maillons de la chaîne d’approvisionnement – détaillants, distributeurs, transformateurs – tentent de s’ajuster. 

« On négocie actuellement nos contrats d’approvisionnement pour l’an prochain. On surveille la tendance, mais on sent que la hausse risque de se poursuivre », explique Gilles Ledoux, vice-président aux ventes de Confiserie Regal, propriétaire de Chocolat Jean-Talon. Le confiseur, qui reçoit son chocolat liquide des transformateurs à son usine de Saint-Laurent, détient avec ses 2 marques 45 % du marché canadien du chocolat moulé pour Pâques.

L’ASIE DÉCOUVRE LES PLAISIRS CHOCOLATÉS

Pourquoi cette hausse ? La demande pour le chocolat augmente, notamment dans les pays asiatiques comme la Chine et l’Inde, où la classe moyenne découvre cette friandise. « La demande croît de 10 à 15 % par année, mais la production ne peut suivre le même rythme », dit Jean-Jacques Berjot.

La popularité grandissante du chocolat noir, qui contient une proportion plus élevée de cacao, amplifie aussi la demande.

Le cacao vient majoritairement de petites plantations d’Afrique de l’Ouest, où les cacaoyers vieillissants sont de moins en moins productifs. Les petits cultivateurs n’ont pas les moyens financiers ou techniques d’améliorer leur rendement. Dans certains pays, on manque aussi de main-d’œuvre pour ce travail mal payé.

Les récoltes de cacao sont aussi sensibles aux périodes de sécheresse et d’humidité, qui se multiplient en raison des changements climatiques et rendent les plantations plus vulnérables aux maladies.

Ces facteurs expliquent que le prix du cacao, sur les marchés de Londres et de New York, caracole autour des 3000 $US la tonne depuis deux mois, contre 2150 $ la tonne il y a un an. Il faudra s’y habituer, semble-t-il, parce que la productivité ne risque pas d’augmenter à court terme.

Les grands fabricants de chocolat affirment multiplier les initiatives pour aider les cultivateurs africains et latino-américains à améliorer leur productivité. Il faudra cependant plusieurs années avant que ces projets ne donnent des résultats.

MOINS, MAIS MIEUX

Pour répondre à l’intérêt grandissant des consommateurs pour des chocolats plus raffinés, les producteurs ont aussi développé des appellations d’origine contrôlée. « Certains développent des chocolats de domaine, comme pour les grands vins, en s’assurant que les fèves de différentes provenances ne soient pas mélangées », explique Jordan LeBel, spécialiste de l’industrie alimentaire et professeur à l’école de gestion John-Molson de l’Université Concordia.

Évidemment, ce n’est pas ce type de chocolat qui se retrouve moulé en forme de poule ou de personnage de dessin animé à offrir aux enfants à Pâques. Mais même pour leurs achats destinés à leur progéniture, de plus en plus de consommateurs recherchent du chocolat de qualité, selon Jean Leclerc. « Des lapins de trois ou quatre pieds de haut, on en voit de moins en moins, dit-il. Ils achètent de plus petits formats, mais du meilleur chocolat. »

LES MANŒUVRES COÛTEUSES DE « CHOCOLATE FINGER »

Le prix du cacao a déjà augmenté jusqu’à 3500 $ la tonne, en janvier 2010. Cette hausse forte et soudaine avait cependant une cause bien différente de celle d’aujourd’hui : dans le but de manipuler les marchés, un spéculateur britannique nommé Anthony Ward a acheté 7 % de toute la production mondiale. Assez pour remplir 155 piscines olympiques ! Il a stocké les fèves dans des entrepôts à Londres pour créer une pénurie artificielle et faire monter les prix, afin d’empocher un juteux profit. Sa stratégie a fonctionné. Ward avait déjà fait le même coup en 2002, ce qui lui avait valu le surnom de « Chocolate Finger », dans le milieu du commerce des denrées.

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