Refus global 65e anniversaire

Refuser encore

Il y a certaines idées que le temps fait mal paraître. On aura bien sûr compris l’esprit de revendication de Refus global. On a aussi compris l’arrimage social, la contestation de l’Église au moment où son pouvoir commençait à s’effriter. Et puis l’ouverture sur le monde extérieur. Nos artistes voyageaient, New York, Paris. Confrontés à la « vraie » histoire, certains d’ici décidaient alors de vouloir en faire partie.

On lit Refus global aujourd’hui avec un sourire. Et certaines interrogations : comment ce texte a-t-il pu faire scandale ? Parce que c’est ce qu’on nous raconte. Alors que la réalité semble contredire cette « révolution » quand on cherche un peu et qu’on tente de remettre les pendules à l’heure, dans une société numérique ! On constate que c’est plutôt un mythe que l’on nourrit et que l’on entretient avec la même foi folklorique que Borduas dénonçait en 1948.

On lit et on ne peut s’empêcher de trouver Refus global « bon enfant ». Avec son lot d’espoirs naïfs et ses textes ostentatoires. Et c’est le texte fondateur d’une nouvelle société, nous dit-on. On lit Refus global aujourd’hui et on doit faire un effort pour faire coïncider les attentes historiques du mythe qui s’est construit sur une soixantaine d’années et l’idée qu’on se fait d’une véritable contestation. Mais peut-être est-ce dû au vide et à l’absence de voix engagées depuis une soixantaine d’années ?

Qu’aurait écrit Borduas aujourd’hui ? Sur qui tirer pour se revendiquer et définir notre identité ? Parce que c’est ce qu’on nous apprend au Québec : il y a toujours un frein, malheureux et toujours extérieur à soi, pour nous ralentir. Quelle liberté dois-je défendre ? Artistique, souveraine, politique, sociale, académique, identitaire, de la langue ? Parce que l’oppression et l’ingérence de l’Église, malgré quelques réflexes « automatiques », sont terminées.

Choisir sa cause, donc. L’environnement est à la mode, mais il définit mal les années « modernes » 50 et 60, quand on jetait nos canettes de bière par la fenêtre de la voiture. On ne pourrait jamais écrire de manifeste sur les échecs des générations qui précèdent sans mal vieillir.

Mais on peut certainement dire et crier son insatisfaction. C’est une obligation qu’on semble avoir oubliée, anesthésiés par la consommation, les loisirs et le culte de soi. Je doute fort qu’on ait remplacé la forme du manifeste écrit comme outil de propagande par le « renversage » de chars de police ou le bonheur instantané de briser la vitrine d’un commerce mondial.

La mode des manifestes est révolue. La couleur n’a pas tenu. Et malgré notre génétique québécoise de contestation, on commente toujours, presque sept décennies plus tard, un texte malheureusement devenu un symbole historique. Alors que ce sont ces intentions qui nous définissent le plus.

Borduas voulait certainement reprendre des droits. Elle est là, l’idée de Refus global. Faut-il rappeler qu’il a perdu son emploi de professeur à la suite de cette publication ? Qu’il s’est exilé ? Bien que ses mots apparaissent aujourd’hui inoffensifs, en 1948, ça prenait du courage.

Refus économique

Sur qui ou sur quoi aurait-il pu tirer aujourd’hui ? Très certainement sur le marché de l’art, envahi par la finance et l’économie de profit. Mais comment tirer sur le seul marché économique véritablement profitable (voir le reportage sur le web de Morley Safer à 60 Minutes : Even in tough times, contemporary art sells) depuis les 25 dernières années ?

Doit-on rappeler qu’il existe des fonds communs de placement d’œuvres d’art sur Wall Street qui battent tous les indices de référence ? Qu’on peut faire des « massages » à des carrières d’artistes comme on en fait à des indices boursiers pour stimuler une hausse ?

Borduas se serait-il réjoui de la mode « art contemporain » du XXIe siècle ? Cet « automatisme » qui a rendu obligatoire, pour les riches du monde, un intérêt pour l’art contemporain ? Jusqu’à faire sentir imbéciles les millionnaires qui n’ont pas d’œuvres contemporaines ou qui ne vont pas à Venise, à Hong Kong, à Bâle ou à New York en pèlerinage ?

Parce que Borduas, au-delà de Refus global, a eu une carrière artistique sans faille. Un dévouement entier, sans compromis, à l’égard de son travail de création.

Refus artistique

Qu’aurait dit Borduas sur l’art contemporain et son contenu ? Qu’aurait-il refusé ? Lui qui est maintenant montré en exemple paternel aura été, de son vivant, snobé par l’élite. Plus aucun musée n’occulte son œuvre aujourd’hui. On lui construit des salles. Une icône. Doit-on aussi rappeler que l’élite de l’époque roulait des yeux devant ses œuvres ?

Aurait-il pu écrire et refuser l’académisme d’aujourd’hui ? Parce que l’art contemporain ne conteste plus. Il est à la solde des idées esthétisantes et de la mode. Souvent, c’est une université ou un système du « spectaculaire ». Une ligne, un punch. On officialise. Il y a déjà plusieurs années que l’art n’est plus engagé socialement. L’art est un modèle d’affaires, institutionnalisé. Faudra se tourner vers le journalisme (d’enquête) pour retrouver un peu de contenu social et de dénonciation.

Borduas

Refus global aura été le geste courageux d’un homme incapable de se taire dans une société silencieuse. Refus global est devenu un mythe au-delà de ses idées parce qu’il a revendiqué un peu plus que le quotidien tranquille. Elle est là, la responsabilité de l’artiste. Et Borduas ne s’est pas contenté d’être un trouble-fête, un penseur ou un homme d’idées. Il a surtout été, on le sait maintenant, un véritable artiste jusqu’à la fin, sans faillir. Le marché l’a reconnu trop tard. L’élite d’ici, dans un réflexe très Québec, l’a volontairement ignoré.

Si Refus global survit un siècle, ce sera dans une perspective de reconnaissance historique. Ne réduisons pas l’artiste à ce texte. L’œuvre de l’homme, elle, aura le mérite d’aller plus loin.

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