Mode de vie

L’impact du stress urbain

« C’est assez clair qu’on est plus stressés en ville tout simplement parce qu’on a beaucoup d’occasions de l’être, ne serait-ce que la circulation, le bruit, la lumière, l’énergie humaine. Les hyperstimulations sensorielles sont omniprésentes et constantes. On croit s’y adapter à un point tel qu’on finit, à tort, par les oublier », affirme le docteur Robert Béliveau, omnipraticien et animateur d’ateliers en gestion de stress au Centre EPIC de l’Institut de cardiologie de Montréal.

« On n’est généralement pas conscients du stress que l’on vit au quotidien et qu’on accumule. Ça finit par nous taxer à la longue. »

Le stress est une réponse physiologique du corps à une menace, explique Pierrich Plusquellec, codirecteur du Centre d’étude sur le stress humain de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal. « Quand notre cerveau perçoit une menace, il y a une décharge de cortisol. Ces menaces surviennent en fonction de la façon dont notre cerveau interprète notre quotidien. » On perçoit une menace en présence de l’un des quatre critères suivants : l’absence de contrôle, l’imprévisibilité, la nouveauté et la menace de l’ego. « Tous les éléments de l’urbanité, comme le fait de vivre les uns sur les autres ou de dépendre des structures de la ville, créent de nouvelles situations potentiellement stressantes. » Bien sûr, dans les cas exceptionnels de logements insalubres, d’infestations de punaises de lit, le niveau de stress monte en flèche.

Candidate à la maîtrise, Marie-Christine Lance consacre son mémoire au mouvement de migration des citadins de 25 à 44 ans vers la campagne. « Ils partent avant tout pour une meilleure qualité de vie. Ils veulent une vie moins stressante. Ils ne se plaignent pas de leur environnement immédiat, mais plutôt d’une vie professionnelle urbaine trop stressante. »

« Malgré la densité de la population, on trouve aussi beaucoup d’isolement en ville, dit le Dr Béliveau. On se côtoie souvent sans se connaître, contrairement à ce que l’on voit dans les communautés plus petites. » On sait que le soutien social est un élément protecteur d’importance contre le stress.

« Si l’on est si stressé aujourd’hui, c’est aussi parce que l’on vit dans une “culture d’impatience”. La plupart des gens sont fatigués, ce qui les rend impatients et irritables. Les réactions peuvent être plus violentes, moins accommodantes. À Bali, où j’ai voyagé, on ne voit personne se fâcher dans les énormes bouchons de circulation. C’est une question d’attitude. Ce n’est pas ce qui m’arrive qui importe, mais comment je le vis. »

Si plusieurs éléments déclencheurs de stress peuvent être gérés individuellement, il en va autrement de la présence de polluants, dont certains, comme le mercure, le plomb et les biphényles polychlorés, perturbent notre système endocrinien. Pierrich Plusquellec étudie le lien entre les polluants et le stress. « De plus en plus d’indices nous laissent croire que les polluants, dont certains ont une présence plus marquée en ville, ont un effet, non seulement sur les stéroïdes sexuels, mais aussi sur les hormones de stress. Ils perturbent notre système et créent une augmentation de cortisol dans le sang, d’où un risque augmenté de stress chronique et de maladies associées métaboliques ou psychiatriques. » L’effet serait particulièrement marqué chez les enfants et les personnes âgées.

Plus de maladies mentales

Les experts le savent depuis longtemps : la vie urbaine touche la santé mentale. « De nombreuses maladies mentales graves sont plus fréquentes dans les villes que dans les campagnes : en Allemagne, par exemple, la dépression atteint 40 % de citadins en plus ; la fréquence des troubles anxieux est augmentée de près de 20 % », écrit Andreas Meyer-Lindenberg dans Cerveau & Psycho (juillet-août 2013). Il est le directeur de l’Institut de santé mentale de Mannheim, en Allemagne. « Le risque de schizophrénie est encore plus fréquent pour les personnes qui sont nées dans une ville et qui y ont passé leurs premières années. » On parle d’un risque de deux à trois fois plus élevé pour les enfants de la ville par rapport aux enfants de la campagne.

Les contraintes liées à la vie urbaine induiraient même des modifications dans le fonctionnement du cerveau. En 2011, des chercheurs allemands et montréalais ont réussi à montrer, grâce à l’imagerie médicale, que des régions du cerveau réagissent différemment selon qu’on habite en ville ou à la campagne. Qu’ont-ils observé ? L’amygdale, une zone du cerveau qui a notamment pour tâche de détecter les menaces, est très active chez les personnes vivant dans les grandes villes (100 000 personnes et plus) et soumises à une situation stressante. Dans les petites villes (20 000 habitants), elle l’est moins. En campagne ? Très peu. On sait qu’une amygdale hyperactive est plus courante chez les gens qui souffrent de dépression et d’anxiété.

Les chercheurs ont aussi observé chez les enfants ayant grandi en milieu urbain une activité accrue du cortex cingulum antérieur périgénual, et ce, de façon proportionnelle à la taille de la ville. Le cortex, en complément de l’amygdale, a un impact dans le contrôle des émotions négatives. Chez les personnes schizophrènes, la structure du cortex est altérée.

« C’est une belle découverte. On sait déjà que vivre en ville est associé à un plus grand risque de troubles de l’humeur, de troubles anxieux et de stress chronique. On sait aussi que le stress chronique est un facteur de risque majeur de troubles psychiatriques, comme la dépression et la schizophrénie. Mais ces chercheurs ont réussi pour la première fois à en montrer le mécanisme neural », confirme Pierrich Plusquellec, codirecteur du Centre d’étude sur le stress humain.

Cela dit, les causes de ce dysfonctionnement lié à la ville ne sont pas claires. Plusieurs chercheurs montrent du doigt le stress social (testé par l’équipe allemande), mais il est trop tôt pour établir le ou les coupables. N’est-ce pas plutôt l’isolement ? Ou le bruit ? D’autres expériences, avec imagerie, sont nécessaires. « Près d’un tiers des cas de schizophrénie pourrait être évité si davantage de personnes vivaient dans un environnement rural. Évidemment, il ne s’agit pas de vider les cités, mais d’essayer de mieux organiser l’espace urbain pour qu’il soit le plus stimulant possible pour la santé psychique », écrit Andreas Meyer-Lindenberg.

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