Tunisie

Une victoire pour la liberté d'expression

Le rappeur tunisien Weld El 15, de son vrai nom Alaa Eddine Yaacoubi, emprisonné pour avoir insulté la police dans une chanson, a été libéré, hier. La cour d’appel a réduit la peine initiale de deux ans de prison à six mois de sursis.

« Je suis content de sortir de la prison et je vais reprendre mes activités artistiques et musicales, a-t-il dit à l’AFP à sa sortie de prison, près de Tunis.

Si j’ai été libéré, c’est grâce au soutien, à mes amis et à la pression » exercée sur les autorités tunisiennes, a estimé le jeune homme de 25 ans, qui semblait pâle et amaigri.

Son incarcération pour « diffamation de fonctionnaires » dans sa chanson Boulicia Kleb (les policiers sont des chiens) avait entraîné une vague d’indignation et de protestation en Tunisie et sur la scène internationale.

Jusqu’à cet épisode, Weld El 15 n’était pas connu du grand public. Sous l’ancien régime de Zine el-Abidine Ben Ali, le hip-hop n’était pas diffusé sur les radios et YouTube était interdit. « C’était underground, les rappeurs étaient peu connus, sauf chez les jeunes », a expliqué à La Presse l’activiste et journaliste Lina Ben Mhenni, membre du comité de soutien au rappeur.

Bataille pour la liberté d'expression

Aujourd’hui, sous le gouvernement des islamistes d’Ennahda, les Tunisiens ont accès aux clips des rappeurs et assistent même à leurs concerts. Mais la transition ne se fait pas sans heurts.

« On prétend qu’il y a la liberté d’expression en Tunisie, mais beaucoup de journalistes et de blogueurs font face à la justice pour ce qu’ils ont écrit », ajoute Mme Ben Mhenni. Le cas de la jeune femme, dont le blogue A Tunisian Girl a été en nomination pour un prix Nobel en 2011, illustre bien les difficultés de cette transition. Son blogue est maintenant accessible aux Tunisiens, mais elle reçoit désormais des menaces de mort.

La cinéaste Hejer Charf, qui revient d’un séjour dans son pays d’origine, ajoute que le cas de Weld El 15 s’inscrit dans un contexte de procès « d’inquisition » à l’endroit des artistes. En 2012, trois rappeurs ont été emprisonnés pour avoir consommé du cannabis. Weld El 15 était de ceux-là. C’est d’ailleurs en prison qu’il a écrit les paroles de la chanson Boulicia Kleb : « Les policiers sont des chiens […] À l’Aïd Al-Adhâ, je n’égorgerai pas un mouton, mais un policier […] On pensait qu’il y avait eu une vraie révolution, mais on s’est fait avoir », chante le rappeur.

« Ça reste une chanson, un moyen d’expression pacifique, et le cadre reste symbolique », poursuit, Mme Charf, Montréalaise d’adoption, en entrevue avec La Presse.

« La victoire d’hier est un petit pas dans la bonne direction, mais il y a encore beaucoup de personnes emprisonnées », insiste également la blogueuse Ben Mhenni.

Plusieurs autres cas

La semaine dernière, trois militantes européennes du mouvement féministe seins nus Femen ont été libérées après que leur peine de prison ferme a été transformée en sursis, en appel.

Une autre militante de Femen, Amina Sbouï, est détenue depuis mai dernier pour avoir écrit « Femen » sur le muret d’un cimetière pour protester contre un rassemblement salafiste.

Le blogueur Jabbeur Mejri a de son côté été condamné l’an dernier à sept ans et demi de prison pour avoir publié sur sa page Facebook des caricatures du prophète Mahomet.

Le seul point positif dans cette situation est que les Tunisiens se mobilisent. « Oui, il y a de plus en plus de procès, mais il y a eu un changement, souligne Mme Ben Mhenni. Avant, les gens n’osaient pas critiquer le régime. Maintenant, même s’il y a de l’intimidation, les gens continuent de critiquer. »

« C’est une période de transition très difficile, mais il y a une société civile qui résiste, dont Weld El 15 », ajoute la cinéaste Charf.

— Avec l'Agence France-Presse

Paroles de Boulicia Kleb

« Les policiers sont des chiens […] À l’Aïd Al-Adhâ, je n’égorgerai pas un mouton, mais un policier […] On pensait qu’il y avait eu une vraie révolution, mais on s’est fait avoir », chante le rappeur.

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