Maternité

Incontrôlable placenta

Elles sont jeunes, en forme, et caressent le rêve d’être maman. Elles célèbrent ce petit + sur leur test de grossesse fait au saut du lit, dès le retard des règles. Au fil des semaines, le ventre s’arrondit (trop?), alors que se dessine un projet de famille de plus en plus concret. Puis, des saignements. Puis, l’échographie. Et là, tout bascule. On leur apprend qu’elles font une grossesse molaire, qu’il n’y aura pas de bébé et qu’un cancer pourrait éventuellement se former dans leurs entrailles.

Au Québec, on estime que 1 grossesse sur 600 est une môle, une tumeur généralement bénigne. C’est la forme la plus courante de toutes les maladies du placenta (aussi appelées maladies trophoblastiques). En raison d’anomalies survenues lors de la fécondation, le placenta se développe anormalement. Parfois, il y a présence d’un fœtus (môle partielle). Le plus souvent, il n’y a aucune vie fœtale (môle complète). La masse de tissus, qui prend la forme d’une grappe de raisins, grossit de façon incontrôlable.

Les symptômes, s’il y en a, se manifestent généralement lors du premier trimestre. Les femmes consultent pour des saignements (rouges ou noirâtres), des douleurs au bas-ventre, des vertiges. « Souvent, il n’y a aucun signe, c’est à l’échographie qu’on découvre la môle. Dans les pays moins développés, où le suivi médical fait défaut, la tumeur peut grossir jusqu’à la rupture utérine. On ne voit plus ça ici avec la médicalisation du suivi de grossesse », explique le Dr Philippe Sauthier, chef du service de gynécologie oncologique du CHUM et responsable du Registre des maladies trophoblastiques du Québec.

À l’examen, l’utérus sera plus gros que le terme, plus mou aussi. Le taux d’hormone de grossesse, anormalement élevé. On évacuera la grossesse à l’aide d’une médication ou par un curetage. Pendant six mois, il y aura des prises de sang hebdomadaires. « La tumeur maligne sécrète l’hormone de grossesse [bhCG] qu’on souhaite détecter le plus tôt possible », souligne le Dr Sauthier.

« C’est tout un choc pour ces jeunes femmes en désir de grossesse, dit Magali Breguet, infirmière coordonnatrice du Registre des maladies trophoblastiques du Québec, à l’hôpital Notre-Dame du CHUM. En quelques minutes, elles se font dire coup sur coup qu’elles perdent leur bébé qui, souvent, n’en était pas un, qu’elles ont une maladie du placenta qui risque de revenir et qu’elles doivent attendre un an avant de tenter une nouvelle grossesse. Elles ont plusieurs deuils à faire, elles sont touchées dans leur identité de mère. Elles cherchent à comprendre pourquoi ça leur arrive. »

La grande majorité se sent terriblement coupable. « On doit leur expliquer qu’elles n’y sont pour rien, on essaie de détecter ces détresses émotionnelles. Parfois, des femmes nous reviennent des années plus tard avec une émotion toujours à fleur de peau et réalisent qu’elles ne sont jamais passées au travers. »

C’est un cancer

Pour certaines de ces femmes, l’épreuve, aussi difficile soit-elle, n’en est qu’à ses débuts. Dans 15 à 20 % des cas, la môle persiste et dégénère en cancer, un choriocarcinome. « Le cancer peut apparaître après une grossesse qui s’est soldée par une fausse couche ou il peut se montrer après un accouchement à terme avec bébé, souvent dans les mois qui suivent », explique le Dr Sauthier. Une prise de sang confirmera la présence de cancer. Le taux de bhCG est proportionnel au volume de la tumeur.

Le cancer est généralement détecté quelques mois après l’accouchement. Des saignements persistants mettent la puce à l’oreille. « La particularité de ce cancer est qu’il a une excellente réponse à la chimiothérapie, dit le Dr Sauthier. Si le traitement est mené rapidement et efficacement, le taux de succès est excellent. Dans 95 à 98 % des cas, les patientes en guérissent. »

Elles peuvent même rêver d’une nouvelle grossesse. « L’approche médicale est complexe parce que nous devons choisir le traitement approprié pour assurer la guérison tout en préservant la fertilité, dit l’expert, devenu une référence auprès de ses confrères québécois. L’équilibre est délicat, ça nécessite des compétences et des connaissances particulières. »

Entre l’horreur et le bonheur

« Même lorsqu’elles savent leurs risques vitaux minimes, ces femmes vivent l’horreur, dit Magali Breguet, qui leur prête immanquablement une oreille attentive. La première question qu’elles me posent est : vais-je survivre? C’est le drame total : elles imaginent une fin de vie imminente avec un bébé naissant dans les bras. Malgré la lourde charge émotionnelle, elles ont une capacité de rebondir incroyable. Elles foncent et s’oublient complètement parce qu’il y a un petit bout de chou qui les attend à la maison. Elles ont une force intérieure, une abnégation et une douceur. »

Plus rarement, la maladie se manifeste plusieurs années après la grossesse. Jusqu’à 12 ans plus tard, a-t-on déjà vu. « Il peut y avoir une période de latence très longue et c’est très perturbant, car le cancer est alors difficile à diagnostiquer, les médecins ne font pas nécessairement le lien », explique le Dr Sauthier.

Plus il est découvert tardivement, plus le cancer se présente sous une forme agressive (môle invasive ou tumeur du site placentaire). Des métastases se seront propagées aux poumons, au cerveau, au foie. Les chances de survie à long terme sont dramatiquement diminuées. Deux femmes sur trois y laisseront leur peau. « On fait beaucoup de sensibilisation auprès des professionnels de la santé pour qu’ils pensent à cette possibilité même si elle est rare. »

Malheureusement, certaines femmes passent dans les mailles du filet. On sait qu’au moins une patiente est morte au Québec en 2009 en raison d’un diagnostic tardif. Pour celle-là, combien d’autres y sont restées? Magali Breguet se le demande. « Ça me fait bondir : il est inconcevable de mourir en postpartum aujourd’hui. Si on faisait un test d’urine à toutes les nouvelles mamans dans les mois suivant l’accouchement, on préviendrait le pire. Mais comme elles sont très peu nombreuses, est-ce que ça vaut le coût sur le plan de la santé publique? » Ça vaut néanmoins la peine d’y réfléchir, avance-t-elle.

Merci à Christine Déry, assistante de recherche clinique au Centre universitaire de santé McGill, pour sa collaboration.

Des facteurs de risque

Si on comprend mal pourquoi survient une grossesse molaire, on sait qu’il peut y avoir une susceptibilité génétique. Parmi les facteurs environnementaux, l’âge (moins de 16 ans, plus de 40 ans), les contraceptifs oraux, les partenaires sexuels multiples, les microbes, virus et infections de toutes origines augmentent les risques de façon plus ou moins importante.

Source : la Dre Rima Slim, généticienne

Congé de maternité amputé

Comme ce cancer est considéré comme une complication de grossesse, il n’y a pas de prolongation du congé de maternité comme c’est le cas pour d’autres cancers, déplorent les patientes. Après une chimiothérapie de quelques mois, le retour au boulot revient vite.

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