Série documentaire  Arrière-scène

La musique, l’argent et les compromis

Quel paradoxe : c’est la chaîne publique franco-ontarienne TFO qui diffuse BRBR, pratiquement la seule émission d’actualité musicale émergente francophone. À cela s’ajoute la nouvelle série documentaire Arrière-scène, qui décortique le métier de musicien. Bonne nouvelle pour les lecteurs non câblés : la série est en ligne depuis hier.

On pourrait dire qu’il s’agit simplement d’une série documentaire dont chacun des 13 épisodes décortique un aspect du métier de musicien en 2014 : la tournée, la critique, l’exportation, la mise en scène, les concours, etc. Des sujets de routine qu’on traite aux Rencontres de l’ADISQ.

Mais cette description factuelle ne rendrait pas hommage au travail terrain accompli pour Arrière-scène. Les quatre réalisateurs de l’émission diffusée sur les ondes de TFO (et mise en ligne à raison d’un épisode par semaine, depuis hier) ont choisi une approche plus « pratique » que « théorique », suivant des artistes et des experts de Montréal à Londres en passant par Vancouver.

L’idéateur du projet, Nicolas Boucher, et ses acolytes Michel Lam (Ports d’attache), Étienne Deslières (Ports d’attache) et Patrick Guérard (Ligue d’improvisation musicale de Montréal) ont assisté en coulisses à la première du spectacle de Jimmy Hunt et aux répétitions de Misteur Valaire avec la metteure en scène Brigitte Poupart. Ils ont suivi un pisteur radio sur la route pendant une journée, filmé la pianiste jazz autodidacte (et autosuffisante) Marianne Trudel en train d’alimenter les réseaux sociaux et Alex Nevsky en pleine lecture des critiques de son dernier album. Ils ont même suivi jusqu’à Londres les musiciens Philippe Brault et Stéphane Boucher avec la troupe de danse de Frédérick Gravel.

Arrière-scène présente le quotidien méconnu de musiciens de la trempe des Sœurs Boulay, du Benoît Paradis trio, de Patrick Watson, des Chercheurs d’or ou encore de We Are Wolves. Des artistes dont l’intégrité artistique et le succès d’estime prévalent sur le succès commercial.

Le réalisateur Nicolas Boucher (directeur général de la boîte DBcom Média) maîtrise son sujet, lui dont la carrière première de pianiste jazz et classique l’a amené à se produire partout dans le monde. « Je n’étais pas supposé faire de la télévision dans la vie », lance-t-il.

La musique est partout

L’idée d’Arrière-scène lui est venue en lisant des statistiques. Le musicien canadien gagne en moyenne autour de 10 000 $ par année, alors que des gens écoutent de cinq à huit heures de musique par jour. «  Un musicien très réputé peut faire 150 $ par show. Il y a quelque chose dans cette industrie-là qui est méconnu du grand public et des mélomanes, alors que la musique est omniprésente dans nos vies », dit-il.

Comme diraient les Vulgaires machins, faut-il « être une pute » pour gagner sa vie comme musicien ? Biz de Loco Locass affirme même qu’il est devenu « un marchand de guenille ».

Sans faire taire ceux qui reprochent aux musiciens de se plaindre, Arrière-scène les fera réfléchir. « J’aime quand Navet Confit dit que sa musique vaut plus qu’une caisse de bière. » Et si le groupe Duchess Says semble l’archétype de la vie rock’n’roll, la chanteuse Annie-Claude Deschênes est secrétaire-comptable dans une garderie pour gagner sa vie.

Les épisodes sont truffés d’anecdotes. Urbain Desbois a construit les décors du tapis rouge de l’ADISQ qu’il a foulé pour assister au gala, Biz de Loco Locass rappelle que le gouvernement a sans doute eu plus de redevances de TVQ pour les 150 000 exemplaires vendus d’Amour oral que le montant de la subvention versée au départ pour la production de l’album.

Du donnant-donnant

Si le public doit garder en tête que la musique qu’il consomme est un gagne-pain pour ses artisans, ces derniers se doivent d’être professionnels. En se produisant presque chaque jour l’été dernier, les Sœurs Boulay ont vite constaté qu’il est impossible « de se torcher la face » au quotidien. « Tout le monde a payé le même prix pour voir ton show et tout le monde mérite le meilleur show que tu puisses donner », dit Stéphanie Boulay à la caméra.

Nicolas Boucher et son équipe ont pris soin d’interviewer des musiciens de plusieurs générations et styles musicaux. Il est fort intéressant d’entendre les propos du compositeur et réalisateur Michel Corriveau (Bon Cop Bad Cop, les pubs de St-Hubert, Sylvain Cossette, Luce Dufault) et du compositeur Mathieu Dandurand, dont le groupe Soul Attorneys a assuré la première partie de Céline Dion dans les années 1990.

Beaucoup de musiciens mènent une longue carrière en diversifiant leurs activités musicales. Par ailleurs, Joël Vaudreuil d’Avec pas d’casque signe le montage d’Arrière-scène. « Le monde est petit », dit Nicolas Boucher.

Comme beaucoup d’artistes interviewés, le pianiste gagne sa vie en télévision, mais il a toujours tenu sa promesse « de ne jamais faire de gig de mariage de sa vie ».

Sans vendre son âme, à quel point est-on prêt à faire des compromis artistiques ? « C’est la grande décision et il n’y a pas UNE bonne recette », conclut Nicolas Boucher, qui a 12 autres épisodes en chantier pour une (éventuelle) deuxième saison d’Arrière-scène.

Arrière-scène, mardi, 20 h 30, sur les ondes de TFO
. En ligne à arriere-scene.tv.

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