ENTREVUE AVEC MONIQUE SIMARD

L’urgence de vendre les produits d’ici

La présidente de la SODEC, Monique Simard, souhaite que la société d’État, créée il y a 20 ans, soutienne davantage l’exploitation des produits culturels québécois, quitte à moduler différemment l’aide à la création.

En entrevue à La Presse, Mme Simard a déclaré que ces changements pourraient signifier de transférer des montants dévolus jusqu’ici à la création-production. 

« Il faut moduler nos argents. Sur 100 millions, si on met 90 millions en création et production et seulement 10 millions en exploitation, peut-être qu’il faut remoduler pour que le produit se rende. Ce n’est rendre service à personne, surtout aux créateurs, de faire en sorte que le produit ne se rende pas au consommateur. »

Elle qualifie d’« exceptionnelle » la qualité des produits culturels québécois, mais insiste du même coup pour mettre davantage l’accent sur la distribution, le marketing et les ventes.

« Après 20 ans, la SODEC doit éclairer le chemin. Il ne faut pas subir le changement. Je pense sincèrement que le citoyen a dépassé les institutions. C’est lui qui décide. La technologie lui a permis d’être le prescripteur de culture. Ça m’attriste que les gens aillent moins au cinéma, mais ils ont le droit de regarder un film à la maison. »

Mme Simard pense que le portrait type du consommateur culturel québécois doit être adapté aux nouvelles réalités.

« Je trouve parfois un peu dérangeant que Netflix et Amazon connaissent plus les goûts culturels des Québécois que nous. »

— Monique Simard

POLITIQUE CULTURELLE

La présidente de la SODEC estime que la révision de la politique culturelle entreprise par Québec tombe au bon moment pour revoir les façons de faire.

« C’est le temps. Il ne s’agit pas d’ajouter des programmes, mais de recalibrer les soutiens à la création-production-exploitation. Il faut viser la souplesse. Le virage numérique est fait, les mesures doivent s’y ajuster. […] Est-ce que la nouvelle politique culturelle ira aussi loin que je le souhaiterais, je ne sais pas. Mais la culture, c’est important, il faut le répéter. »

Elle rappelle que la culture et les communications représentent 4,8 % du PIB québécois. Elle souligne également que l’aide publique ne représente que 20 % des revenus des entreprises culturelles.

La société d’État gère près de 400 millions en aide aux entreprises culturelles, mais, souligne-t-elle, « la dématérialisation du produit culturel change toute la chaîne économique. On est dans un paradoxe où il y a abondance de produits culturels, mais les modèles d’affaires ne se sont pas ajustés. Les ventes baissent, alors qu’est-ce qu’on fait ? »

PROACTIFS

Peut-être que certains investissements devraient devenir des subventions, croit-elle. Monique Simard se demande aussi si la formule des crédits d’impôt est bonne pour tout.

« La SODEC a une responsabilité de leadership et de consultation. Je ne conçois pas le rôle d’une société d’État comme étant passif. Il faut être proactif à un certain niveau. Je ne veux pas qu’on attende que tout le monde soit sous respirateur artificiel. Il n’est pas trop tard, mais il faut avancer vite. »

Au moment de cette entrevue, les distributeurs québécois entamaient dans une autre salle une formation de trois jours sur les nouvelles technologies. La SODEC a également reçu un mandat ministériel pour étudier l’exploitation de films au Québec, après la crise des salles d’Excentris.

« Environ la moitié des salles appartient à des réseaux et 50 % à des exploitants indépendants. On veut étudier cet équilibre pour l’ensemble du territoire québécois. »

— Monique Simard

Elle pense que le Québec pourrait, comme la France ou la Suède, agir en changeant les règles du jeu de l’exploitation en salle. Le problème demeure que le marché québécois n’a pas d’existence propre en Amérique du Nord. 

« On peut le questionner. On croit au soutien à la culture, aux produits culturels québécois, mais s’ils ne sont pas consommés par des Québécois, à quoi ça sert ? On peut forcer les choses. »

CLAUDE JUTRA 

Monique Simard se dit « dévastée » par les récentes révélations de pédophilie au sujet de Claude Jutra. « On ne peut pas imaginer qu’une personne qu’on a aimée fasse des choses comme ça. Claude Jutra m’a permis de m’épanouir dans la vie. C’est quelqu’un qui a été formidable avec moi. Découvrir ça, c’est inimaginable. La pédophilie, rien ne peut l’excuser, mais jamais on n’a cru qu’il s’en prenait à des enfants. Jamais. » Elle soutient que l’auteur de la biographie de Claude Jutra, Yves Lever, ne lui a pas parlé de pédophilie lorsqu’il l’a rencontrée pour le livre. Monique Simard avait tourné en 1970 le film Wow sous la direction du cinéaste. 

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