Point de vue Marc Dutil, président de Groupe Canam

Le déficit de leadership féminin dans nos entreprises

Marc Dutil

L’auteur est président et chef de la direction de Groupe Canam.

J’avais d’abord l’intention de commencer cette rubrique en relatant une réunion d’affaires tenue à l’automne 2013. Aux côtés de Monique Leroux, Guy St-Pierre et Hélène Lee-Gosselin, Monique Jérôme-Forget y avait présenté son livre Les femmes au secours de l’économie.

Elle l’a si bien fait que, le lendemain matin, j’avais encore mon manteau sur le dos lorsque j’ai interpellé notre vice-président ressources humaines : « Claude, as-tu 10 minutes ? Il faut qu’on se parle des femmes. » Celles de chez Canam, bien sûr.

J’avais donc commencé mon texte quand, avec le recul, je me suis remémoré 25 ans de transformations de l’environnement de travail. Pour moi, le tout a commencé en 1991 à l’usine de Saint-Gédéon – un vrai monde de gars, croyez-moi.

Chaque mercredi, à la cafétéria de l’usine, c’était la journée du poulet. Des centaines de travailleurs défilaient alors en se faisant servir boisson, salade, poulet et frites. Comme il y avait un choix de sauces, une volontaire désignée – une femme, toujours une femme –, armée d’un tablier et d’une cuillère, demandait à chacun : « Sauce brune ou sauce rouge ? »

Manifestement, ce n’était pas la tâche la plus valorisante en ville.

J’ignore si j’avais flairé l’iniquité ou bien l’inefficacité, mais je suis allé voir le directeur général de l’époque pour lui dire : « Écoute, nous sommes 650 hommes et
20 femmes ici. Si chacun sert la sauce du mercredi à tour de rôle, il va se passer 13 ans avant que notre tour revienne. Tu ne penses pas qu’on pourrait épargner ça aux filles ? »

En voyant le regard incrédule du patron, j’ai ajouté : « Et inquiète-toi pas, mercredi prochain, c’est moi qui commence. » Et pour la première fois, sous le regard amusé des collègues, il y avait un homme avec un tablier blanc qui offrait un choix de sauce.

Preuve qu’il ne faut pas sous-estimer la débrouillardise d’un homme menacé, en quelques semaines, le service de la sauce était dorénavant fait par des distributrices automatiques. Sans être exactement ce que j’avais en tête, c’était tout de même un pas dans la bonne direction.

Il a été suivi de l’arrivée d’Annie au génie industriel et de Manon au génie civil, de la nomination de Louise comme première femme au sein de l’équipe de direction et de l’entrée de quelques femmes dans l’usine.

En 2014, Groupe Canam compte, toutes proportions gardées, 50 % plus de femmes ingénieures que la moyenne de l’Ordre des ingénieurs du Québec.

La présidence de notre filiale américaine est assurée par une femme. Deux femmes d’expérience siègent depuis plus de 14 années à notre conseil d’administration.

Je vous épargne les statistiques qui le démontrent, mais tout ça demeure insuffisant pour que les hommes et les femmes de notre entreprise puissent déclarer mission accomplie.

Ce qui nous ramène à notre anecdote d’introduction.

VALORISER LES FEMMES

En novembre 2013, la réflexion inspirée par Mme Jérôme-Forget ayant mijoté un peu, j’annonce à Isabelle Bégin, directrice au sein de notre division InteliBuild, qu’elle sera responsable d’un comité spécial qui étudiera comment valoriser le rôle des femmes au sein de l’organisation.

Anne-Marie Roy, dont le crime n’était que de passer par là par hasard, a été nommée vice-présidente de ce comité de 11 femmes et 1 homme, dont les recommandations ont récemment été discutées avec la haute direction.

Ces recommandations incluent, entre autres, l’absence de favoritisme ou de quota, une amélioration de la reconnaissance et de la visibilité des talents féminins, la sensibilisation des superviseurs, l’implantation de services à caractère domestique, une sensibilité accrue à la prise de décisions au féminin, davantage d’assertivité – cette capacité à s’exprimer et à défendre ses droits tout en respectant la sensibilité et les droits des autres.

Il n’est pas question ici de se poser en modèle. Chaque entreprise trouve ses propres motivations, solutions et bénéfices à mieux intégrer les femmes.

D’ailleurs, ce comité m’a aussi suggéré de lire Lean In : Women, Work, and the Will to Lead de Sheryl Sandberg – livre dont la lecture m’a rappelé que, pour changer le monde, les gens en position d’influence, hommes et femmes, doivent aller au-delà des bonnes intentions et éventuellement passer à l’action.

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