Chronique

Le début de la fin du modèle québécois

Le moment marquant de cette session parlementaire à Québec ?

En fait, ce n’est pas tant un moment que deux chiffres – 0,2 et 1,4 – qui sont apparus dans le deuxième budget Leitao déposé le 26 mars. Ces deux chiffres, loin d’être anodins, marquent la fin du modèle québécois tel qu’on l’a connu depuis des décennies.

On savait que le gouvernement Couillard voulait geler les dépenses de tous les ministères, sauf ceux de la Santé et de l’Éducation. Mais l’atteinte, dès le présent exercice budgétaire, du déficit zéro est incontournable, a décrété le gouvernement, d’où un coup de frein majeur dans les dépenses en Santé et en Éducation, plafonnées respectivement à 1,4 % et 0,2 %.

L’ampleur de cette révolution budgétaire n’a pas échappé aux spécialistes des deux réseaux, qui ont immédiatement tiré la sonnette d’alarme : une augmentation aussi faible dans les budgets ne couvre même pas l’augmentation naturelle (les coûts de système), ce qui signifie, dans les faits, des compressions inévitables.

Cette décision du gouvernement Couillard, qui n’avait pas été annoncée en campagne électorale, faut-il le rappeler, est un tournant crucial dans la gestion des finances publiques, un tournant qui aura des répercussions lourdes et durables sur les services publics dans les deux principales missions de l’État. On dit souvent que Stephen Harper a profondément changé le Canada avec ses réformes conservatrices, mais Philippe Couillard est lui aussi en train de poser les jalons d’une transformation profonde au Québec. Certains diront d’ailleurs que cette volonté de réduire la taille de l’État a quelque chose de très… conservateur.

D’autres, comme Jean Charest, Mario Dumont ou François Legault, ont rêvé d’une telle révolution budgétaire – et ils l’avaient d’ailleurs promis ouvertement, ce qui fut probablement leur erreur – mais c’est finalement Philippe Couillard, sans crier gare, qui l’a lancée.

Ce n’est pas la seule décision budgétaire aux effets lourds et prolongés : l’augmentation de certains tarifs, la réforme des structures et, surtout, la modulation des frais de garde d’enfants en fonction du revenu des parents (une autre surprise postélectorale) viennent changer profondément la donne pour les contribuables.

En cette fin de session parlementaire, on parle beaucoup de l’arrivée de Pierre Karl Péladeau à la tête du PQ, des déboires de la CAQ, de radicalisation et même de tchador (tiens, ça nous manquait, ça !), mais on passe bien vite les changements fondamentaux imposés par ce gouvernement au cours des derniers mois.

Non pas que l’élection de PKP ne soit pas importante, mais il me semble qu’on oublie bien vite, en essayant de décrypter ses intentions référendaires ou de l’imaginer premier ministre, qu’il lui reste encore trois ans dans le rôle de chef de l’opposition.

Pour les libéraux, remarquez, c’est parfait. Ils adorent brandir le spectre d’un prochain référendum et ils ne se plaindront certainement pas d’avoir eu, en face d’eux, une opposition occupée à autre chose au cours des derniers mois.

Avant et pendant la course à la direction, plusieurs députés péquistes, dont Alexandre Cloutier, Bernard Drainville, Martine Ouellet et Jean-François Lisée, insistaient sur l’importance pour le PQ de choisir un social-démocrate comme nouveau chef.

On verra au cours des prochains mois à quelle enseigne loge M. Péladeau sur cette question, mais il est clair, après cette dernière session, que les libéraux, eux, sont passés à autre chose.

LEGAULT DANS LES LIMBES

Pénible, le point de presse-bilan de session du chef de la CAQ, hier à Québec. En gros, François Legault reconnaît ouvertement que son message ne passe pas, qu’il ne rejoint pas les électeurs, que son parti est éclipsé par le PQ et son nouveau chef et qu’il traversera encore plusieurs mois de grisaille avant une embellie plus qu’incertaine. M. Legault avoue même avoir songé à laisser sa place à la tête de la CAQ. Ouf ! Du Prozac avec ça ?

Le plus déprimant dans le discours de M. Legault, c’est qu’il semble incapable d’envisager une contribution de son parti à la chose politique et à la gouvernance de l’État autrement que par des victoires qui ne viennent pas. À ce compte-là, il y a longtemps que Françoise David et Amir Khadir se seraient jetés en bas de la tour du parlement.

François Legault ressemble de plus en plus à ces frappeurs impatients, au baseball, qui essayent de guérir leur léthargie d’un seul élan en se dévissant les épaules sur tous les lancers dans l’espoir du grand chelem victorieux.

C’est à croire que la CAQ, reléguée dans son rôle de deuxième opposition, n’apporte rien de bon au débat public et que sa contribution au bien commun est annihilée par ses contre-performances électorales.

Il faut parfois donner du temps au temps. Parlez-en aux néo-démocrates, à Ottawa.

BREF RETOUR SUR DUCEPPE

Plusieurs lecteurs ont manifesté, dans ma boîte de courriel, leur étonnement de voir Gilles Duceppe reprendre la direction du Bloc québécois sans que les militants ne soient consultés. « Pas très démocratique », m’a-t-on noté à maintes reprises.

Le Bloc est tellement mal en point, la manœuvre semble tellement désespérée, qu’on est presque prêt à fermer les yeux sur cette entourloupette inusitée, mais il est vrai que la question de la légitimité se pose. D’autant que le retour de M. Duceppe a été décidé sur la foi d’un sondage.

Sur le front électoral, d’autres lecteurs affirment que des bloquistes égarés au NPD en 2011 reviendront au Bloc cette fois, ce qui favorisera les libéraux. Je crois plutôt que ce sont les conservateurs qui ont le plus à gagner du retour de Gilles Duceppe.

Chaque député néo-démocrate de moins est une petite victoire pour Stephen Harper. Et une chance de plus de prolonger son bail au 24 Sussex.

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